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Saïd Salhi : « L’an II du Hirak devra être celui de l’organisation et des conquêtes politiques »

Saïd Salhi : « L’an II du Hirak devra être celui de l’organisation et des conquêtes politiques »

Le hirak fêtera son premier anniversaire le 22 février prochain. Qu’en retenez-vous essentiellement ?

Un peuple remarquable qui a décidé définitivement de se libérer de tous les autoritarismes. Dans la rue, par le combat pacifique et unitaire, il a décidé de reprendre sa souveraineté et de construire son avenir. Une nouvelle page s’est ouverte et est déjà entrée dans l’histoire, elle suscite de l’admiration dans le monde entier, de l’espoir chez les Algériens et les Algériennes, en particulier les jeunes.

Le Hirak, en puisant dans la longue histoire semée de déchirements souvent traumatiques pour le peuple algérien en lutte constante et incessante pour son émancipation et sa libération, a finalement retrouvé sa voie. Une année de lutte constante, pacifique, unitaire, exemplaire et sans faille, qui a fait vibrer tout le pays, d’une seule voix et avec la même détermination contre le système, ses symboles et ses pratiques.

Face à cette grande maturité et ce sens de responsabilité du peuple, au lieu de saisir cette chance historique pour le pays, ce même système a répondu par le déni, la répression, la division et la manipulation, ce qui a malheureusement éloigné le dénouement, et a installé la crise dans la durée. Nous fêtons déjà une année du Hirak.

Seulement, à mon sens, je ne dirais pas que c’est une année de perdu, mais bien au contraire, car on a beaucoup gagné. Tout d’abord, la confiance en nous, l’estime de soi, et l’amour en notre pays.  Désormais, à partir du 22 février, le peuple est redevenu un acteur agissant, déterminé à changer son destin et à aller jusqu’à la réalisation de son objectif, il se forge une conscience citoyenne qui se consolide de jour en jour. Après avoir parcouru tout ce long chemin, il n’est plus possible de s’arrêter ou de revenir en arrière.

Comment expliquez-vous cette endurance du hirak ?

L’endurance, je pense qu’elle est propre au peuple algérien. Après tout ce qu’on a vécu depuis des années maintenant (des guerres, des malheurs successifs), le peuple est toujours debout. Nous avons acquis cette grande capacité de résilience, nous sommes vaccinés et endurcis, c’est ce qui nous permet de continuer. Nous disons que le pire est derrière nous.

Par le Hirak, nous avons aussi réalisé le miracle de cette révolution pacifique mais aussi unitaire. Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas retrouvés entre nous-mêmes, algériennes et algériens de tout le pays dans notre diversité, on se découvre dans la communion et la joie. Cette endurance s’explique aussi par le fait que nous vivons cette révolution comme un défi, une question d’honneur, nous puisons beaucoup de nos héros notamment de la Guerre de libération nationale, ceux qui ont combattu avec bravoure et n’ont pas fait machine arrière. C’est une sorte de moteur, l’on se dit que c’est notre dernière chance, on la saisira et on ira jusqu’au bout.

Le choix du combat pacifique nous assure en quelque sorte une certaine protection, une sécurité, une fois cette limite posée, on se sent en quelque sorte libérés de nos peurs, celle du chaos et de l’effondrement de l’État, c’est ce qui donne la force aux gens de continuer, les vendredis, les mardis d’autant que réellement le système n’a rien lâché face au Hirak, même ceux qui ont cru à l’occasion des présidentielles, se sont vite rendu compte de la supercherie. Ils ont vite déchanté. Voilà, le Hirak a finalement raison, alors il faut continuer.

Des voix ont estimé que le Hirak a échoué. Qu’en pensez-vous ? 

Certains ont emprunté des raccourcis par des analyses avec des outils qui ne sont plus adaptés au Hirak, alors qu’il s’agit d’un mouvement unique, nouveau et novateur, il y a du génie populaire derrière, une intelligence, une conscience collective, qui puise toute sa force dans notre histoire, nos expériences. Cela fait des années que nous nous exerçons face à ce système, on le connaît bien, on connaît ses pratiques, ses réflexes, ses humeurs, alors le mouvement agit et réagit presque du tac-au-tac. Le pouvoir a opté pour un coup de force dès le mois de juillet pour imposer des élections présidentielles, l’enjeu n’était pas leur organisation ou pas, mais l’enjeu comme dans toute élection est la légitimité. Sur cette question, le peuple par sa résistance pacifique a rendu ces élections invalides car le président proclamé est non légitime, largement affaibli. Il ne pourra prétendre à cette légitimité et le pouvoir le sait, il a réussi néanmoins à reconstituer son représentant et la façade civile…

Dans le bras de fer des élections, c’est le Hirak qui est sorti vainqueur car il détient la majorité, ce qui fait de lui un vis-à-vis incontournable dans toute solution politique même si le pouvoir fait semblant encore de l’ignorer et continue encore à lui tourner le dos.

Le nouveau pouvoir issu du scrutin du 12 décembre fait preuve d’ambivalence dans sa gestion du Hirak. La répression ne s’est pas arrêtée. Quel est votre avis ?

C’est pour la première fois dans l’histoire du pays où on voit le peuple non pas boycotter mais sortir dans la rue le jour même de l’élection avec une détermination surprenante dans des manifestations massives malgré la violente répression. Le Hirak a révélé un peuple presque nouveau, actif et agissant, les élections n’ont pas réussi à le faire rentrer chez lui. Quant à l’ambivalence du système, je pense qu’il n’est pas encore sorti de ses propres divisions. Il faut rappeler que le Hirak l’a fortement ébranlé, et que le système était déjà divisé au sujet de la succession à Bouteflika.

À présent, je pense que sa priorité est de se recomposer de l’intérieur. Il n’a pas de volonté réelle d’aller vers le changement, il a opéré un changement clanique à l’intérieur du système. Alors, il ruse avec le Hirak en tentant de gagner du temps et de jouer à la fois sur la répression et l’usure dans l’espoir de voir le mouvement s’essouffler à terme.

Le pouvoir veut tenter une ouverture contrôlée à son profit, alors que le Hirak revendique une transition démocratique qui ne peut se faire que dans le cadre d’une ouverture démocratique qui devra garantir l’accès à l’exercice des libertés démocratiques, d’expression, de réunion publique, de manifestation pacifique, d’organisation, et l’arrêt du harcèlement à l’encontre des activistes, ce qui n’est pas le cas encore.

Faut-il passer à une autre étape pour l’an II du Hirak ?

Je pense que oui, la mobilisation par l’action a ses limites. Il faudra aller sur le terrain de l’action politique, s’organiser plus, renforcer les jonctions entre les sensibilités qui traversent le Hirak ; ce dernier devra permettre l’éclosion des forces nouvelles, notamment des jeunes, des nouvelles organisations, tout en poursuivant les marches. Nous devons aller sur le terrain politique, reprendre l’initiative et arrêter de subir la feuille de route du système et réagir à chaque fois.

Le Hirak devra se doter de sa propre feuille de route, unitaire et démocratique. La date du 22 février, premier anniversaire du Hirak, est une opportunité pour nous pour écrire cette nouvelle page. Cette révolution héroïque doit être inscrite dans notre histoire, d’où notre appel à élaborer la déclaration du 22 février, qui devra être le prolongement de celle du 1er novembre et de la Plate-forme de la Soummam. Cette 2e année (du Hirak) devra être celle de l’organisation et des conquêtes politiques, nous avons le rapport de force dans la rue, nous devons le traduire en rapport de force politique à même d’imposer des négociations pour le changement effectif du système via une transition démocratique et pacifique.

 Quel est l’objectif du Collectif de la société civile ?

L’Algérie d’aujourd’hui a besoin d’un nouveau pacte politique : en 1956, on était face au colonialisme, maintenant nous sommes face à nous-mêmes, entre nous, nous devons acter cette révolution, planter un nouveau jalon qui devra permettre d’aller vers l’Algérie de demain, celle du vivre-ensemble dans la diversité, l’égalité et la non-discrimination. Ce consensus que le peuple a construit dès le 22 février dans la rue lors des marches devra être traduit par un consensus politique dans le cadre de la Conférence nationale unitaire de toutes les forces du changement en phase avec le Hirak, un projet sur lequel nous travaillons au collectif de la société civile pour une transition démocratique et pacifique depuis le 27 avril. Il fait son chemin doucement.

Cette conférence sera aussi l’espace pour formaliser ce nouveau contrat, cette feuille de route vers la nouvelle république authentique, démocratique sociale et civile.

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