Dans un contexte de relations tendues avec les régimes issus de coups d’État au Sahel, Paris a recours à l’arme de la mobilité, en imposant des restrictions sur les visas, les échanges culturels et le séjour en France des étudiants du Mali, du Burkina Faso et du Niger.
La dernière décision en date dans ce sens concerne le séjour des étudiants de ces trois pays dont les régimes issus des coups d’État entretiennent des relations difficiles avec la France.
Fin août, des étudiants des trois pays ont reçu un mail du ministère des Affaires étrangères français les informant de l’annulation de leur séjour sur le territoire français.
(2) Au Niger, la situation qui se pose immédiatement est bien celle de la sécurité et accessibilité de notre consulat. J’ai demandé la possibilité pour les étudiants issus des lycées français de pouvoir déposer leurs visas dans un autre poste consulaire de la zone. pic.twitter.com/er1N3ivNCN
— Karim Ben Cheikh (@K_BenCheikh) September 16, 2023
Des étudiants ayant reçu ce mail avant d’embarquer pour la France ont témoigné auprès du journal Le Monde et d’autres médias français. Ils affirment qu’il leur a été précisé que la mesure a été prise en raison de la crise diplomatique actuelle entre Paris et les trois pays du Sahel.
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont connu des coups d’État qui ont comme point commun la remise en cause, par les pouvoirs qui en sont issus, de la présence française dans les trois pays.
Le Niger, qui constituait jusqu’à il y a moins de deux mois l’un des derniers alliés de la France dans la lutte antiterroriste dans la région, a basculé lui aussi dans le camp de la contestation de la présence française suite à un coup d’État qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum le 26 juillet.
Paris est, depuis, aux avant-lignes des pays qui réclament le retour à l’ordre constitutionnel et le rétablissement du président Bazoum. Une intervention militaire des États de la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) est même envisagée alors que l’Algérie plaide pour un règlement pacifique de la crise.
Avant cette décision concernant les étudiants, la France avait pris plusieurs mesures, dont la suspension de l’aide au développement ainsi que de l’octroi de visas pour les ressortissants des trois pays.
Mais la mesure qui a le plus fait réagir en France c’est la suspension des échanges culturels.
La France dégaine l’arme des visas contre le Niger, le Burkina Faso et le Mali
Le ministère de la Culture français a adressé une note aux établissements culturels publics leur enjoignant de ne plus programmer des artistes maliens, burkinabè ou nigériens, selon des médias français.
La note date du 11 septembre et émane des directions régionales de la culture. Il y est stipulé que les établissements dramatiques et chorégraphiques doivent cesser toute coopération avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso ainsi que tout soutien financier à ces pays et de ne plus lancer d’invitation à leurs ressortissants.
Parmi les arguments avancés, l’impossibilité de délivrer des visas après le départ des services consulaires.
« Nous continuerons d'être des promoteurs de la culture et c'est pourquoi nous continuerons d'accueillir les artistes du continent africain, tout comme les intellectuels et les chercheurs »
👉 @EmmanuelMacron au sujet des échanges culturels avec l'#Afrique. pic.twitter.com/zdY6i85IEH— France Diplomatie🇫🇷🇪🇺 (@francediplo) September 15, 2023
La mesure a suscité un tollé qui a amené le ministère de la Culture à faire une petite « concession« , précisant que la suspension ne touche pas les projets déjà programmés.
Le président Emmanuel Macron a aussi réagi en indiquant que la coopération culturelle est suspendue au Sahel mais pas en France. Mais « le mal est fait« , estime le journal Le Monde dans l’éditorial de son édition de ce samedi.
Dans les milieux culturels et politiques français, des voix estiment que la mesure risque de rompre ce qui reste des liens entre la France et les pays de la région, d’autant plus qu’elle touche directement ceux justement qui sont censés faire la relation bilatérale, les artistes.
La décision est de ce fait dénoncée comme une « maladresse« . L’ancienne ministre de la culture sous François Hollande, Aurélie Philippetti, actuellement directrice des Affaires culturelles à la mairie de Paris, a fustigé une mesure « scandale et aberrante » qui porte atteinte à l’image de la France.
Plusieurs syndicats français d’artistes ont dénoncé la mesure dans une déclaration conjointe dans laquelle ils ont estimé que Paris a décrété « des représailles contre les artistes« .
Ce n’est pas de cette façon, « en punissant collectivement les populations africaines« , que la France retrouvera le crédit perdu à cause de « son soutien à des régimes impopulaires » ou de sa « présence militaire aux objectifs ambigus« , estime l’éditorialiste du Monde.
Le député des Français de l’étranger Karim Ben Cheikh a jugé « absurde » et « indigne » de punir les artistes sahéliens par la France.
Choqué de l'annonce de nouvelles sanctions contre des artistes sahéliens déjà touchés par les suspensions de visa.
Punir des artistes et les viser par des sanctions est absurde et indigne. Ressaisissez-vous ! pic.twitter.com/BM42qxt65r— Karim Ben Cheikh (@K_BenCheikh) September 14, 2023
« Choqué de l’annonce de nouvelles sanctions contre des artistes sahéliens déjà touchés par les suspensions de visa. Punir des artistes et les viser par des sanctions est absurde et indigne. Ressaisissez-vous ! », a-t-il écrit sur X (ex-Twitter).