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Arabie saoudite : après la révolution de palais, une déstabilisation régionale ?

Arabie saoudite : après la révolution de palais, une déstabilisation régionale ?

Il y a seulement dix-huit mois, Mohamed Ben Salmane -dit MBS- alors vice-prince héritier et ministre de la Défense, présentait un ambitieux plan de réformes économiques pour sortir le royaume du « tout pétrole » et s’imposait, par la même occasion, comme l’incarnation de la transformation de l’Arabie saoudite.

Puis, après avoir écarté en juillet dernier Mohammed Ben Nayef -successeur naturel du roi Salmane- le jeune prince est devenu à 32 ans seulement l’héritier du trône saoudien. Depuis, il multiplie les coups de com’. Fin octobre, devant un parterre d’investisseurs et de journalistes étrangers, il a annoncé la création d’une gigantesque zone économique au nord-ouest de l’Arabie saoudite. Dans le même temps, il a promis un retour à un « islam modéré » au sein du royaume. Un message directement adressé à la jeune génération de saoudiens qui aspire à une évolution des mœurs (près de 70% de la population a moins de 30 ans…).

Mais la « transformation » de l’Arabie saoudite a pris le week-end dernier une tournure beaucoup plus radicale. MBS a ainsi piloté une vague d’arrestations pour corruption et détournement de deniers publics touchant les plus hauts cercles de la famille royale et des milieux d’affaires (dont certains hommes d’affaires mondialement connus comme le prince et milliardaire Al-Waleed bin Talal).

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MBS veut gagner la confiance 

Officiellement, il s’agit d’une opération « mains propres » pour combattre la corruption qui retarde le développement de la société saoudienne. L’agence de presse officielle SPA a d’ailleurs indiqué qu’il s’agissait de « préserver l’argent public ». Dans la foulée, le Royaume a annoncé la création d’une commission anti-corruption dirigée par …MBS en personne.

Cette purge est d’abord un coup politique populiste orchestré par MBS qui cherche à gagner en interne l’estime de la classe moyenne saoudienne en s’attaquant aux élites du pays. Il faut dire que la chute des revenus pétroliers depuis 2014 a fortement impacté le train de vie d’une classe moyenne autrefois subventionnée par le royaume.

En outre, « le grand ménage » vise également à améliorer l’image de l’Arabie saoudite dans le monde des affaires et à accroître son attractivité. Dans le dernier classement Doing Business de la Banque mondiale -qui analyse l’environnement des affaires chaque année dans 190 pays- l’Arabie saoudite ne figure qu’à la 92 ème place. Depuis samedi dernier, Riyad multiplie d’ailleurs les annonces pour rassurer les investisseurs internationaux. La banque centrale saoudienne a assuré que l’opération anti-corruption n’affectait nullement l’activité économique.

Reconfiguration du pouvoir 

S’il ne faut évidemment pas occulter le problème de la corruption endémique en Arabie saoudite, les cibles visées par ce grand ménage suscitent l’interrogation des observateurs. « Le problème, c’est que cette opération « mains propres » donne l’impression d’être menée de façon sélective, que MBS et son père se débarrassent de gêneurs, d’oligarques qui leur font de l’ombre, comme a pu le faire M. Poutine en Russie », analyse Benjamin Barthe, correspondant du journal Le Monde à Beyrouth pour le quotidien du soir français.

La lutte anti-corruption est donc un habile procédé pour neutraliser les forces de contestation du régime, et permettre au jeune prince de consolider son autorité avant son accession au trône. D’autant que le réformateur n’est pas exempt de critiques : certaines voix au sein du royaume lui reprochent une coûteuse guerre au Yémen ou une rupture avec le Qatar trop radicale.

Bouleversement de l’équilibre du régime 

Dans sa quête de transformation radicale, MBS peut compter sur son allié américain. Le président Donald Trump a exprimé mardi son soutien au roi Salmane et à MBS -« ils savent exactement ce qu’ils font (…)  Certains de ceux qu’ils traitent durement saignent leur pays depuis des années » a-t-il écrit dans un tweet. Les récents événements sont pourtant source d’inquiétude pour la stabilité de la région.

D’abord parce que ce ménage politique pourrait remettre en cause l’équilibre traditionnel du royaume. Dans le Washington Post, Marc Lynch, professeur de sciences politiques et d’affaires internationales à la George Washington University estime que MBS « semble revendiquer un pouvoir personnalisé sans les freins et contrepouvoirs qui, en temps normal, caractérisent le système de gouvernement saoudien ». L’histoire du royaume est en effet le fruit d’alliances entre différents clans.

Conquête du monde occidental

De plus, dans son élan réformateur, le jeune prince s’est attaqué ces dernières semaines au sujet de la religion, promettant un « islam modéré ». La monarchie saoudienne cherche ainsi à donner à l’Occident un visage plus rassurant. Pourtant, écrit le Middle East Eye, « l’imbrication entre religion et État en Arabie saoudite est sensible et profondément enracinée. Tout effort visant à ébranler cette alliance doit connaître un processus de dialogue public et intellectuel inclusif, bienveillant et libre. Il doit être le fruit d’une demande du public plutôt qu’une contrainte imposée d’en haut ». L’auteur -anonyme- de l’article estime que « depuis que le prince Mohammed ben Salmane a pris le pouvoir, la situation de la religion dans le pays est sur le déclin. Mohammed ben Salmane semble déterminé à amener le pays à l’autre extrême ».

En effet, Riyad est désormais prêt à casser les interdits religieux d’un islam rigoriste au nom de la nécessité de diversifier l’économie du pays. L’été dernier, MBS a annoncé la création de stations balnéaires sur les rives de la Mer Rouge qui bénéficieront d’un cadre réglementaire spécial, aligné sur les standards internationaux. Autrement dit, les touristes pourront y consommer de l’alcool et les femmes se balader en maillots de bain à quelques centaines de kilomètres des sites sacrés de l’islam. Une décision qui pourrait heurter la frange la plus conservatrice du royaume nourrie à l’islam rigoriste depuis des décennies. D’autant que la population n’a pas été consultée sur le sujet.

Transformation sans modernisation

En outre, si MBS veut donner une image plus ouverte de l’Arabie saoudite au monde occidental, il pourrait aussi décevoir en interne. Car, pour le moment, la transformation économique et sociale vendue depuis plusieurs mois par le jeune prince héritier n’est pas synonyme de modernisation du régime.

Certes, les femmes vont désormais être autorisées à conduire à partir de juin 2018. Elles pourront également assister à des événements sportifs dans trois grands stades du pays. Néanmoins, MBS n’a jamais évoqué une potentielle évolution sur la question de la peine de mort par exemple. Quant au pluralisme des opinions, les arrestations d’intellectuels ou d’activistes trop critiques vis-à-vis du royaume en septembre dernier et passées quasiment inaperçues, montrent que MBS n’en a cure.

Combat contre l’Iran 

Sur la scène régionale, alors même que l’Arabie saoudite a longtemps préféré se tenir à l’écart des dossiers chauds régionaux pour ne pas être victime d’une contagion sur son sol, MBS se montre très offensif depuis 2015. Sa crainte d’un expansionnisme chiite iranien l’a poussé à engager une intervention militaire au Yémen (pour Riyad, la rébellion houthiste d’obédience zaïdite (branche du chiisme) est orchestrée par Téhéran).

Puis, galvanisé par sa bonne entente avec la nouvelle administration américaine qui soutient la politique anti-iranienne de Riyad, le prince intensifie son combat contre l’Iran, son ennemi historique régional, quitte à en oublier les conséquences. En juin, la supposée proximité du Qatar avec l’Iran a conduit Riyad à rompre ses relations diplomatiques avec le petit émirat gazier.

Une guerre par procuration ? 

Dernier coup de force en date : le Liban. Quelques heures avant « la grande purge », le Premier ministre libanais Saad Hariri, également de nationalité saoudienne, a annoncé sa démission depuis la capitale saoudienne. Dans son discours, il a accusé l’Iran et le Hezbollah d’entretenir les tensions dans le monde arabe.

Ce coup de théâtre, orchestré selon de nombreux observateurs par l’Arabie saoudite, plonge le pays du Cèdre dans une nouvelle crise politique. Manifestement, la  politique de conciliation adoptée par le sunnite Hariri, visant à cohabiter avec le Hezbollah chiite libanais pour assurer une certaine stabilité en interne, n’était pas du goût de Riyad. L’exaspération est, semble t-il, montée d’un cran lorsque Hariri a rencontré vendredi dernier Ali Akbar Velayati, principal conseiller de l’Ayatollah Khamenei, guide suprême de la révolution iranienne. Soit la veille de sa démission surprise annoncée depuis la capitale saoudienne.

Bref, après la Syrie, le Liban est désormais le nouveau terrain de jeu de Riyad pour afficher sa rivalité avec Téhéran. Une hypothèse relevée il y a moins d’un mois par Joseph Bahout, chercheur invité du think thank Carnegie à Washington.

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« Au niveau régional, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis cherchent maintenant des moyens pour compenser leur perte de la Syrie, terrain où ils pouvaient défier et saigner l’Iran. Un désir de conjurer leurs fortunes régionales pourrait les amener à tenter de reprendre pied au Liban », écrit-il dans un article intitulé « Dans l’œil du cyclone ».

Une coalition sunnite peu probable 

Mais, dans ce combat contre la puissance régionale chiite, la monarchie sunnite cherche évidemment à y embarquer ses alliés. En juin, Riyad a déjà réussi à convaincre les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Yémen et l’Égypte de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ses alliés ont également rejoint la coalition arabe sunnite menée par Riyad depuis mars 2015, et destinée à mener la guerre au Yémen contre les Houthis.

Toutefois, pour l’instant, les pays « frères » de l’Arabie saoudite semblent craindre les conséquences d’une escalade des tensions dans la région. L’Égypte, déjà bien occupée par ses dossiers de politique intérieure, a fait savoir qu’elle n’envisageait aucune mesure contre le Hezbollah. Le président égyptien Abdel Fattah al Sissi s’est dit mercredi défavorable à d’éventuelles frappes militaires contre l’Iran ou son allié du Hezbollah libanais, rapporte l’agence Reuters.

Enfin, le Maghreb reste silencieux sur cette nouvelle crise régionale. Soutenu financièrement par Riyad, le Maroc se fait pour l’instant discret. Le pays a déjà endossé, depuis juin, le costume de médiateur dans la crise qui oppose l’Arabie saoudite au Qatar, État avec lequel Rabat entretient aussi de bonnes relations. Dans le cadre de sa tournée des pays du Golfe, Mohammed VI se rendra d’ailleurs ce dimanche au Qatar.

En outre, l’Algérie qui n’a jamais vu d’un très bon œil la monarchie saoudienne, reste de son côté très silencieuse sur les événements des derniers jours.

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