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Chronique livresque – Rachid Benyelles, les coulisses brûlantes du pouvoir

Chronique livresque – Rachid Benyelles, les coulisses brûlantes du pouvoir

Deuxième partie

S’il nous manquait une preuve sur la légèreté avec laquelle on prenait, au plus haut niveau de l’État, des décisions qui engageaient l’honneur et la vie des Algériens, avec l’affaire Zeggar que nous met sous le nez Benyelles, on est rassasiés jusqu’à l’écœurement.

Rappel d’abord sur cet épisode dramatique. Début des années 80, Messaoud Zeggar, ami intime du défunt président Boumediène avait été arrêté par la sécurité militaire et inculpé pour corruption et espionnage au profit des États-Unis. En réclamant des explications sur l’arrestation de Zeggar à des responsables militaires notamment Lakhal Ayat, responsable de la SM, Benyelles reçut « des réponses évasives ». Il demanda alors à Chadli s’il avait donné son accord préalable à l’arrestation de Zeggar. Le président lui répondit par l’affirmative.

« Parce que la Sécurité militaire lui avait assuré qu’elle détenait les preuves irréfutables de sa collusion avec les services spéciaux américains, d’une part, et parce que Messaoud Zeggar, tout ami du défunt président qu’il fût, n’était pas au-dessus des lois, d’autre part. »

La justice pour tous ? Patience. La suite est à pleurer. « Lorsque je lui appris que le juge d’instruction en charge du dossier  n’avait aucune preuve pour étayer l’accusation d’espionnage, il ne sut que me dire. Très embarrassé par cette situation, il me donna carte blanche pour régler au mieux le problème et rattraper la bévue de la sécurité militaire… » Bévue ? Non. Faute grave. On a brisé la vie d’un patriote avec la même insouciance qu’on briserait la coque d’une amande. Retenons aussi cette terrible phrase: « …Il ne sut que me dire… ».

Des dirigeants sans vision et sans discernement

Autre exemple sur le manque de discernement et de vision de nos dirigeants : celui de la fermeture des lycées français d’Alger, Oran et Annaba en représailles à la France qui refusait un réajustement des prix du gaz. Pourtant, en tant que membre d’un groupe de travail (et aussi ministre du Transport)  qui devait « explorer les mesures de rétorsion susceptibles d’être prises en réponse au silence des autorités françaises », Benyelles s’était fermement opposé à la proposition de fermeture émanant d’un membre qui plus est francophone.

C’est par la presse, le 30 juin 1988, qu’il apprendra que le gouvernement, dont il était membre, avait notifié à la France la décision. Commentaire : « L’affaire fit grand bruit et laissa sur le carreau des milliers de lycéens algériens et étrangers ; désemparés, ils ne savaient plus que faire ni où aller. (…) En vérité, le grand perdant dans la fermeture des lycées était une fois de plus, l’Algérie qui s’était privée délibérément de l’apport d’établissement qui, au-delà du nombre important d’élèves algériens inscrits, constituaient une référence précieuse en matière de programmes d’enseignement et de pédagogie, pendant qu’ailleurs dans le monde, d’autres États sollicitaient l’ouverture de lycées français sur leur sol et faisaient tout pour en multiplier le nombre ! ».

La suppression des journaux télévisés en langue française entrait, aussi, dans ce cadre. Mesures en forme de tirs de balles au pied. On voit les résultats dans notre société de pareilles décisions irréfléchies.

L’avènement du FIS est évoqué dans des pages dignes d’un roman politique noir. On comprend tout de suite que les dirigeants de l’époque, à de rares exceptions, n’étaient pas à la mesure de cet événement, soit par manque de lucidité, soit par manque de sens politique, soit tout simplement par décalage avec la société. Ainsi, dès les premiers troubles, le bureau politique se réunit dans une ambiance crépusculaire. El Hadi Khediri, alors ministre de l’intérieur, fait un tableau noir de la situation.

« À l’entendre, Alger était à feu et à sang, ce qui ne correspondait pas à ce que Rabah Bitat et moi avions vu en traversant la ville. Pour lui, les émeutes avaient atteint une ampleur telle que les forces de police, partout débordées et menacées, ne pouvaient plus faire face aux manifestants qui brûlaient et détruisaient tout sur leur passage. » Il demanda l’intervention urgente de l’armée. En concluant qu’une main étrangère était derrière les émeutes.

Larbi Belkheir abonda dans le même sens. La main étrangère ? Pardi, l’ennemi de toujours : la France. Certains préconisèrent un communiqué. Benyelles s’opposa : « La thèse du complot extérieur, sans être exclue, ne pouvait être retenue, en l’état actuel, de nos informations. En faire état dans le communiqué du bureau politique, risquerait de porter atteinte à la crédibilité de cette instance de direction. »

Franchement, ne croirait-on pas avoir affaire à une réunion du bureau d’une association de gamins alors que ces personnes dirigent l’Algérie ! Ils avaient le sort, le vôtre, et celui de millions d’Algériens, entre leurs mains.

Que dire aussi du rôle du ministre de l’Information Ali Ammar qui demanda à la seule chaîne de télévision nationale de faire, de quelques troubles limités,  une catastrophe nationale en les amplifiant et en les passant en boucle. Pour toute réponse, il affirma au narrateur que cette « présentation alarmiste des événements avait été exagérée à dessein dans le but de susciter la réprobation de la population. »

Je ne sais pas à quelle école de journalisme et de communication il a été, mais sa stratégie doit être enseignée dans le chapitre « Les fautes  graves à ne pas commettre en matière de communication. » Ces images ont fait croire aux Algériens que l’État a démissionné devant les pillages, aux pilleurs un sentiment d’impunité et aux chaînes de télévisions étrangères de souffler sur les braises !

En vérité, osons-le mot, il n’y avait pas d’État. Que des hommes de pouvoir qui se précipitent toujours dans les bras de la grande muette pour se protéger. Quand les événements prendront une tournure plus dramatique, Benyelles aura le courage et l’honnêteté de demander à un Bendjedid, totalement démoralisé, de présenter sa démission. Chadli ne l’écoutera que d’une oreille et poursuivra sa descente aux enfers avant de démissionner et de sortir par la porte de service. Triste fin.

Portrait de l’artiste en héros

Ce qui rend le témoignage de Benyelles précieux, c’est la réputation de droiture et d’intégrité de l’homme. Là où il est passé, il n’a traîné aucune casserole. Et c’est assez rare pour être souligné. Bien entendu, en filigrane de ce récit mené au pas de charge, se dessine en creux, le portrait d’un héros de notre temps qui dit son mot quoiqu’il lui en coûte, un homme différent par la lucidité et le niveau, mais, en vérité, si semblable par la passivité. On le comprend : il a fait partie d’un système qui broyait les solitaires, les opposants et les rebelles. Lui l’a été à sa façon : tout en finesse.

Peut-on lui faire reproche d’avoir trop encensé certains dirigeants et d’avoir accablé d’autres ? Il ne prétend pas à l’objectivité. Et les mémoires d’ailleurs ne se prêtent guère à cet exercice. On met trop de soi pour ne pas impliquer le cœur et les tripes.

Quoi qu’il en soit, ces mémoires sont une pièce importante à verser au dossier de l’’écriture de notre histoire. Pas le Coran, bien entendu. Donc une pièce à discuter. Même si elle ne nous paraît pas discutable eu égard à l’honnêteté du mémorialiste. Aux autres acteurs d’apporter leurs pièces. On verra alors plus clair. À tout le moins moins sombre.

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Dans les arcanes du pouvoir

Éditions Barzakh

Prix : 1200 DA

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