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« Dans les années à venir, il fera plus chaud et plus sec en Algérie »

« Dans les années à venir, il fera plus chaud et plus sec en Algérie »

Les épisodes d’intense chaleur, de pluviométrie exceptionnelle, d’inondations subites et de périodes de sécheresses plus longues et plus intenses que ce à quoi sont habitués les Algériens sont des effets du réchauffement climatique qui est aujourd’hui un fait indéniable, n’en déplaise au climato-sceptiques.

Enseignant chercheur à l’Université de Rouen, Zineddine Nouaceur est membre d’un laboratoire de recherche du CNRS spécialisé dans le domaine du climat et des risques environnementaux. Il est co-fondateur du réseau Eau et Climat au Maghreb. Il a rédigé ou participé à la rédaction de plusieurs ouvrages traitant du climat et ses changements en Algérie et en Afrique du Nord. Il livre dans cet entretien son point de vue d’expert sur les risques que fait courir le réchauffement climatique à l’Algérie.

Nous savons aujourd’hui que le réchauffement climatique est une réalité indéniable et que ses effets commencent à se faire ressentir. À quel point l’Algérie est touchée et où se situe-t-elle parmi les pays les plus touchés ou les plus exposés ?

Toute l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie et Tunisie) constitue aujourd’hui un « hot-spot » du changement climatique. Selon les experts du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), une hausse des températures de 2 à 3°C est attendue dans la région du Maghreb dans les prochaines années (projection pour l’année 2050). Sur un siècle, la hausse pourrait atteindre 3 à 5°C.

Pour les précipitations, les modèles de prévision sur un demi-siècle donnent des résultats qui font état d’une baisse d’un quart du cumul pluviométrique annuel. Donc, dans les années à venir, il fera plus chaud et plus sec en Algérie. Cette situation risque ainsi d’exacerber le stress hydrique observée aujourd’hui dans tout le pays et ne manquera pas de créer des tensions entre tous les utilisateurs des ressources hydriques (concurrence entre les différents secteurs économiques et la demande domestique en eau potable) d’autant plus que la hausse des températures aura pour conséquences une plus forte évaporation.

Si l’on rajoute à ce constat la hausse de la population qui devrait atteindre dans les prochaines années en 2040 un peu plus de 57 millions de personnes, soit une augmentation de 38,18% par apport à la population de 2017 (41,72 millions), la situation risque d’être très difficile pour le partage des ressources. Elle sera aussi difficile pour les milieux naturels déjà fragilisés par les changements climatiques qui subiront une plus grande pression anthropique conséquence de la hausse de population.

Sur la base de plusieurs critères de vulnérabilité (agriculture et ressources alimentaires, eau, santé, services aux écosystèmes, habitats et infrastructures) et de résilience (gouvernance et services sociaux), une étude de chercheurs américains publiée en 2015 a classé 181 pays selon un index global d’adaptation aux changements climatiques. L’Algérie y est classée au rang 109 avec un indice de 44,5 et se place dans la catégorie des pays à faible vulnérabilité (41e place avec un indice de vulnérabilité de 0,37) et un niveau de résilience très bas (166 rang avec un indice 0,26). Ainsi malgré la vulnérabilité assez faible, la réponse ou les réponses en termes d’action et de lutte contre les effets des changements climatiques sont insuffisantes compte tenu des moyens du pays.

Y a-t-il actuellement des manifestations concrètes du réchauffement climatique en Algérie ? Quelles sont-elles ?  

Oui aujourd’hui les effets du changement climatique sont présents à travers deux paramètres majeurs : la plus grande fréquence des périodes de canicules qui est une conséquence directe de l’augmentation des températures nocturnes (températures minimales) et l’intensification du cycle hydrologique qui se traduit par des épisodes de pluies intenses. Ces pluies génèrent souvent des crues subites et des inondations (phénomènes en une nette recrudescence ces dernières années particulièrement en zones urbaines).

Quelles régions sont les plus touchées ? 

Il est difficile de répondre à une telle question, mais compte tenu de la configuration climatique du pays, l’Ouest souffrira plus des sécheresses puisqu’aujourd’hui cette partie de l’Algérie est désavantagée en terme pluviométrique par rapport aux régions « Est ». Le sud  du pays (Sahara) souffrira plus de la chaleur (confirmée par les chercheurs du projet AMMA – African Monsoon and Multidisciplinary Analyses). De même que toutes les villes algériennes seront des zones non adaptées aux changements climatiques actuelles et doivent rapidement s’adapter. Faiblesse des îlots de fraicheurs (zones végétalisées et jardins), augmentation sensible des zones bitumées, utilisations de matériaux de construction non adaptés (béton). Encombrement des centre-villes et augmentation de la pollution par les particules et autres polluants ce qui favorise le maintien de l’îlot de chaleur urbain (véritable dôme de chaleur).

À quoi devons-nous nous attendre en Algérie dans le court, moyen et long termes ? Des transformations importantes du climat sont-elles à prévoir ? Quels dégâts aura ce changement climatique sur l’agriculture, l’industrie, la démographie et la vie sociale des Algériens ?

L’avenir est incertain en Algérie. À court terme, les transformations climatiques seront importantes puisque nous assistons aujourd’hui à une accélération du réchauffement climatique sans grandes mesures d’atténuation appliquées. Les défis aujourd’hui sont énormes compte tenu de l’augmentation de la population et de la demande future en ressources alimentaires et hydriques.

À plus long terme, il est difficile de se projeter, mais les changements politiques et sociétaux peuvent être rapides et des mesures plus adaptées peuvent être mises en place (l’Algérie est classée dans le secteur des pays à faible vulnérabilité et à faible résilience). Si l’on considère les moyens dont dispose le pays, la mobilisation en faveur des actions pour l’atténuation et l’adaptation sera rapide et efficace.

Dans le domaine de l’agriculture, ce secteur doit s’adapter aux changements climatiques en privilégiant des méthodes de culture qui ne gaspillent pas la ressource hydrique. De même qu’il est souhaitable de favoriser les espèces moins exigeantes en eau.

Dans l’industrie, l’utilisation d’une eau traitée doit être privilégié de même qu’il faut veiller à la bonne qualité chimique des rejets avant de les introduire dans le milieu naturel (ces mesures assurent la pérennité du cycle de l’eau). Il faut faire ce que l’on appelle une économie circulaire dans le petit cycle de l’eau.

Pour la population et la société algériennes, il faut veiller dès le jeune âge à réintroduire la notion de respect et de partage du milieu de vie (l’environnement est ce qui nous entoure, environnement naturel, habitat et infrastructure). Aujourd’hui ce respect existe, mais il est confiné dans chaque habitat ou maison, il est individuel et privé, le lieu public (anciennement appelé « Beylek » doit être revalorisé dans le sens d’un lieu commun partagé par tous et sauvegardé pour les générations futures).

Cette démarche est nécessaire et elle doit être générationnelle et introduite dans le schéma éducatif du ministère de l’Éducation nationale. La part des programmes qui évoquent les grandes problématiques environnementales doit être renforcée et prolongée sur les 3 cycles de l’enseignement (primaire, collège et lycée).

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