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De l’or dans la rue

De l’or dans la rue

Par lapas77 / Adobe Stock

Ils alpaguent les passantes dans la rue à longueur de journée. Les mêmes phrases reviennent sur leurs lèvres : « Kech cassé ? Kechma tbiî ? » (De l’or cassé à vendre ?). Insistant sur la flambée de l’or actuellement, ces rabatteurs se montrent un tantinet collants. Ils vous talonnent, vous pressant de leur vendre vos bijoux qu’ils sont prêts à vous racheter rubis sur l’ongle « Le cours est à 5500 da le gramme. Profitez- en » s’époumonent-ils. D’autres exhibent des coffrets où scintillent des bijoux sertis de pierres précieuses. Du début de la rue Larbi Ben M’hidi jusqu’à l’amorce de rue Bab Ezzoun, en passant par le rue Ali Hariched, derrière la mairie d’Alger centre, le marché clandestin de l’or fait florès.  À mesure que ce métal prend de la valeur sur le marché boursier international, le nombre de ces vendeurs suit la courbe ascendante. Un véritable business qui se développe dans la rue, au nez et à la barbe des autorités.

Un négoce qui rapporte gros

Ils sont jeunes et pratiquent ce négoce à temps plein ou occasionnellement.  Dos plaqué contre le mur, ces rabatteurs accostent chaque passante dans l’espoir de débusquer quelques grammes de ce précieux métal qui se monnaye à prix fort. Dans leur sacoche, une mini balance de poche afin de peser les bijoux ainsi qu’une loupe.  Nabil (42 ans), alias ‘rouget’ débarque à la rue Ben M’hidi chaque week end. Pendant la semaine, il travaille comme plombier. « J’ai commencé ce négoce en 2009 dans le jardin de oued kniss, au Ruisseau. C’est un travail qui rapporte bien. Le cours de l’or ne cesse de  grimper sur le marché international. Actuellement, je rachète l’or cassé de chez les particuliers jusqu’à 5500 da le gramme. Je le revends ensuite aux artisans bijoutiers avec un bénéfice. Certaines femmes ont tellement besoin d’argent, qu’elles sont prête à sacrifier leurs bijoux, surtout lorsqu’elles ont un mariage à organiser ou en cas de pépin ».

De sa sacoche, Nabil extirpe une loupe et une mini balance. «  La pesée de l’or se fait sur le trottoir. Lorsque le bijou est serti de pierres précieuses : diamant, rubis, émeraude, saphir, son prix grimpe en flèche. Certaines femmes échangent leurs anciens bijoux contre de plus récents modèles. Grace à ce travail très rentable, j’ai pu améliorer ma situation ; j’ai construit une maison à Birtouta et j’ai même réussi à me marier. Ce qui constitue une gageure par les temps qui courent, surtout pour un petit plombier  comme moi » se  réjouit Nabil.

Ni facture, ni traçabilité

Par le profit qu’il engrange, le commerce informel de l’or attire un nombre impressionnant de jeunes. Saif Eddine (27 ans) a été exclu du système scolaire. Habitant le quartier, il a rejoint le fief des vendeurs d’or à la sauvette. « Quand j’avais 20 ans, les ‘delelates’ me demandaient de monter la garde afin de les protéger d’éventuels voleurs. En fin de journée, je rentrais chez moi avec quelques billets. Les études, ce n’était pas mon truc alors j’ai laissé tomber mon cartable pour investir ce créneau. J’achète de l’or cassé que je revends aux ateliers de fabrication. Je claque tout mon fric. Des ‘collègues’ plus économes ont pu  se payer des voitures et des appartements. Pas moi. L’argent me brûle les doigts. Ce boulot a plein d’inconvénients ; travailler dans la rue est épuisant sur le plan psychologique. Je me suis fait embarquer plusieurs fois par les policiers. De plus, ma conscience me turlupine. Je ne sais jamais si l’or que j’achète n’est pas le fruit du ‘hram’. Pas de facture, aucune traçabilité. Par ailleurs, comme certains vendeurs ambulants, je subis le racket. Une sorte de code qu’on appelle Laftouh’. Si un nabab du marché informel de l’or te demande d’allonger le blé, il faut lui donner sa part. Je suis à la recherche d’un vrai boulot mais pour le moment je ne trouve rien ».

Jeu de chat et souris

Un marché qui engrange des milliards de dinars sous le nez des services de sécurité. La vente illégale de ce métal précieux se déroule au vu et au su de tout le monde. Toutefois, il arrive que les policiers donnent un grand coup de pied dans la fourmilière. Khouiled, un autre vendeur ambulant de bijoux en or de la rue Ben M’hidi est récemment tombé dans leurs filets «  On m’a saisi mon coffret de bijoux. Des bagues, bracelets, boucles d’oreilles…De l’or à 24 carats. Il y en avait pour 900 millions de da ». Adossé à la façade d’un immeuble, Khouiled a les yeux qui roulent comme des billes. Son cou se déploie comme celui d’une girafe. Sur le qui-vive, il guette l’apparition des policiers, prêt à détaler tel un lièvre à la moindre alerte, son coffret de bijoux sous le bras.  À la question de savoir s’il n’était pas échaudé par la précédente saisie khouiled répond «  c’est un business juteux. Qui a goûté au miel ne peut s’en passer ».

Dans ce commerce parallèle, les femmes ne sont pas en reste. Cous, poignets et doigts ornés de bijoux, les ‘delalate’ ressemblent à de véritables bijouteries ambulantes. Bagues, chaînes, gourmettes, bracelets, boucles d’oreilles, il y en a pour tous les prix et pour toutes les qualités «  Ces bijoux viennent principalement d’Italie. C’est beaucoup moins cher qu’en bijouterie. Cela démarre de 10 000 da selon le  modèle. Pour vous rassurer sur le grammage de 24 carat, je vous accompagne chez un bijoutier » nous lance une sexagénaire installée sur un tabouret, au pied de l’entrée d’un immeuble.

Comme celui de la devise, le marché informel de l’or prolifère en toute impunité sur le circuit parallèle engrangeant des fortunes qui passent à travers les mailles du fisc. Tout ce trafic se pratique à ciel ouvert, au vu et au su des pouvoirs publics.

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