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DÉCRYPTAGE. Comprendre la crise entre le Qatar et ses voisins

DÉCRYPTAGE. Comprendre la crise entre le Qatar et ses voisins

Rien ne va plus entre la Qatar et ses voisins. Lundi 5 juin, l’Arabie saoudite et plusieurs de ses alliés, dont les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Yémen et l’Égypte ont annoncé la rupture de leurs relations avec le petit émirat lui imposant, dans la foulée, toute une série de sanctions commerciales. Riyad accuse le Qatar de porter « atteinte à la sécurité de la région »  et « d’accueillir des groupes communautaristes et terroristes dont, les Frères musulmans, Daech et Al Qaida ». Retour sur les éléments à l’origine de cette crise diplomatique.

Doha dénonce une campagne calomnieuse 

Samedi 20 mai, l’émirat du Qatar diffuse un communiqué dans lequel il se dit victime d’une campagne « calomnieuse », relayée par certains médias et organisations « anti-Qatar » à la veille de la visite en Arabie saoudite du président des États-Unis, Donald Trump, pour un sommet arabo-musulman.

« (…) Un plan orchestré par des organisations anti-Qatar dans diverses publications (…) a prétendu que le Qatar voyait avec sympathie ou neutralité les actions de groupes terroristes au Moyen-Orient », déplore le communiqué des autorités qataries.

Un discours modéré sur l’Iran à l’origine d’un regain de tensions ? 

Mardi 23 mai, dans la soirée, soit 48 heures après le sommet de Riyad, la toile et les médias relaient des propos attribués à Ben Hamad Al-Thani lors d’une cérémonie militaire de remises de diplômes. Dans son discours, le jeune émir aurait expliqué que l’Iran, bête noire de l’Arabie saoudite, était « une puissance islamique avec laquelle il faut compter puisqu’elle contribue à la stabilité de la région ». Tamim Al-Thani aurait également pris la défense du Hezbollah, le mouvement chiite libanais, accusé par Riyad d’être à la botte de Téhéran, et considéré comme organisation terroriste.

Alors que ce fameux discours se propage sur internet, Doha cherche à éteindre l’incendie. Dans la nuit de mardi à mercredi, l’agence de presse officielle qatarie (QNA) dément et annonce qu’elle a été visée par une attaque informatique. « Une fausse déclaration attribuée à sa majesté a été publiée », annoncent les services de communication de l’émirat.

Une justification jugée peu convaincante par les Saoudiens et les Émiratis. Malgré le démenti officiel, Al-Arabiya, chaîne d’information saoudienne, et Sky News Arabia, financée par les Émirats arabes unis continuent de relayer les propos polémiques. Dans la foulée, Riyad -suivi d’Abu Dhabi, Manama et du Caire- bloquent l’accès à la chaîne et à d’autres sites de médias qataris, dont Al Jazeera. 

Plusieurs analystes du Golfe, cités par des médias, estiment que la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera est devenue « un porte-parole pour les Frères musulmans et d’autres organisations terroristes comme Al Qaida ou Daech ». Certains observateurs s’étonnent toutefois de la rapidité des chaînes qui relaient cette information, donnant ainsi du crédit à la thèse d’un coup monté pour déstabiliser Doha.

La rupture 

Le Qatar ne parvient pas à regagner la confiance de ses voisins. Le souvenir de la crise de 2014 est encore dans tous les esprits. Lundi 5 juin, Riyad annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec l’émirat gazier. Ses alliés suivent. Les Émirats, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen. D’autres pays suivent : les Maldives, la Jordanie et la Mauritanie mettent également au ban le Qatar. Le Sénégal décide aussi de rappeler son ambassadeur.

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Un boycott économique est également mis en place. L’agence d’information officielle de l’Arabie saoudite indique que ses frontières terrestres, aériennes et maritimes sont désormais fermées pour « protéger sa sécurité nationale des dangers du terrorisme et de l’extrémisme ». Des mesures suivies par les alliés de Riyad.

Trump se félicite de l’isolement du Qatar 

Pendant que les tensions s’accentuent, Donald Trump se félicite dans une série de tweets. Il estime que l’isolement du Qatar marquera « peut-être le début de la fin de l’horreur du terrorisme », indiquant que « tous les éléments pointent vers le Qatar » dans le financement de l’extrémisme religieux. Le locataire de la Maison Blanche dit même voir dans l’initiative de l’Arabie saoudite et de ses alliés les premiers résultats de sa visite fin mai.

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« Lors de mon récent voyage au Moyen-Orient, j’ai affirmé qu’il ne pouvait plus y avoir de financement pour l’idéologie radicale. Des dirigeants ont désigné le Qatar. Regardez ! », écrit Donald Trump sur Twitter.

Reproches en France, prudence en Allemagne

Si Trump s’auto-congratule des premiers succès de sa politique étrangère, Paris -qui compte pourtant bon nombre de politiques français qui entretiennent des liens avec le Qatar- incrimine elle aussi le petit émirat. Le ministre français de la Justice, François Bayrou, appelle à mettre un terme aux avantages fiscaux dont bénéficient les investisseurs qataris sur leurs plus-values immobilières. « Sous la responsabilité de Nicolas Sarkozy, la République française avait donné au Qatar un avantage fiscal incroyable », explique le ministre de la Justice sur BFM TV le 6 juin. « Est-ce que cette situation peut durer ? Je ne le crois pas », poursuit le garde des Sceaux.

Pour rappel, selon une convention fiscale conclue en 2008, le Qatar et ses entités publiques sont exonérés d’impôt sur leurs plus-values immobilières effectuées en France.

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L’Allemagne, quant à elle, prend ses distances. Le ministre allemand des Affaires étrangères accuse le président américain Donald Trump d’attiser les conflits au Moyen-Orient. « Une telle ‘trumpisation’ des relations dans une région de toute façon en proie aux crises est particulièrement dangereuse », fustige Sigmar Gabriel, dans le quotidien Handelsblatt du 7 juin.

Le temps de la médiation

En dépit de leurs reproches, les puissances occidentales, à leur tête les Etats-Unis et la France, veulent jouer le rôle de médiateurs.

Paris appelle au dialogue et à l’apaisement dans le Golfe, et insiste sur l’impératif de stabilité dans la région et assurant de sa coopération dans la lutte contre le terrorisme. Le président français Emmanuel Macron s’entretient au téléphone avec l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, le président turc, Recep Tayyip Erdogan (allié du Qatar), et le prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed Ben Zayed.

Après s’être félicité de l’isolement de Doha, Donald Trump est contraint de faire face à une réalité militaire : le Qatar abrite une importante base militaire américaine qui sert, entre autres, de point de départ pour les frappes contre les djihadistes de l’État islamique. Il est donc contraint de modérer ses propos et appelle alors à l’unité entre les États arabes du Golfe « mais jamais au détriment de l’éradication du financement de l’extrémisme radical ou de la défaite du terrorisme ». Depuis mercredi, il propose désormais son aide pour apaiser la crise.

Pressions pour que Doha change d’habitude 

Ces interventions diplomatiques ne sont pas vraiment du goût de Riyad. « Nous n’avons pas demandé de médiation; nous estimons que cette question peut être traitée entre les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) », déclare le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al Djoubeïr, lors d’une conférence de presse à Berlin le 7 juin.

Selon plusieurs médias, l’Arabie saoudite et les Émirats ont fixé un certain nombre de conditions pour envisager une sortie de crise. Le ministre d’État émirati aux Affaires étrangères, Anwar Gargash, demanderait notamment la fermeture d’Al Jazeera. En 2014, l’Arabie saoudite avait déjà exigé la fermeture de la chaîne.

Dans un entretien publié par le quotidien saoudien Achark al Aoussat basé à Londres, le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, le cheikh Khalid ben Ahmed al Khalifa, a déclaré que Doha doit « modifier sa trajectoire et revenir à ses engagements précédents, il doit cesser ses campagnes médiatiques et prendre ses distances avec notre ennemi numéro un, l’Iran. »

Épilogue ou statu quo ?   

Le Qatar doit donc se positionner. L’Arabie saoudite et ses alliés exigent de Doha qu’il « change de politique » et qu’il adhère au positionnement régional sur les mouvements islamistes radicaux et l’Iran, avec qui le Qatar partage le plus grand champ gazier du monde.

Pour le moment, Doha dit refuser toute intervention dans sa politique étrangère. « Personne n’a le droit d’intervenir dans notre politique étrangère », a ainsi déclaré à l’AFP, ce jeudi, Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, le ministre des Affaires étrangères.

Mais une prolongation de cette crise pourrait devenir compliquée pour Doha, notamment sur le plan économique. Des opérateurs économiques clés de l’économie qatarie en souffrent déjà à l’instar de Qatar Airways. Mardi, la compagnie a annulé jusqu’à nouvel ordre ses vols à destination de Bahreïn, de l’Égypte et des Émirats arabes unis.

En outre, le pays se retrouve de plus en plus  isolé. Pour le moment, le pays  (qui importe 90% de ses denrées alimentaires) assure disposer de suffisamment de provisions dans les supermarchés pour les quatre semaines à venir, en plus d’une importante réserve stratégique de nourriture stockée à Doha, rapporte Reuters.

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