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Éducation : pourquoi le niveau scolaire baisse en Algérie

Éducation : pourquoi le niveau scolaire baisse en Algérie

Dégradation du niveau des élèves dans les matières scientifiques, désintérêt des élèves pour l’école, montée de tricherie, la crédibilité du Baccalauréat… Entretien avec Malika Boudalia Griffou, pédagogue et écrivaine.

En maths et en sciences, les élèves algériens sont très mauvais. Quelles peuvent être les causes de ce faible niveau ? 

Le constat d’échec de l’école algérienne est aujourd’hui officiel. Il a été annoncé publiquement par la ministre de l’Éducation. De même que la dégringolade est mesurée depuis une dizaine d’années par des instances économiques internationales qui s’accordent toutes pour classer l’école algérienne en bas de l’échelle.

En 2007, l’enquête effectuée par l’organisme anglais TIMSS place l’Algérie en bas du tableau. En 2015, un rapport établi lors du Forum économique de Davos (Suisse), classe l’école algérienne parmi les plus mauvais systèmes dans le monde. De 2015 à 2016, l’enquête effectuée par l’OCDE place l’Algérie en avant dernière place du classement mondial. En 2017, dans le classement mondial établi par l’Unesco, cette école figure à la 119e place, derrière la Tunisie et le Maroc. Durant la même année, un rapport de la Banque Mondiale mentionne que 68,5% des élèves redoublent au moins une fois au cours de leur scolarité. Il s’agit de taux évalué le plus élevé dans le monde. La Mauritanie où le redoublement est interdit est bien mieux classée que l’Algérie ! Sachant que certains élèves redoublent deux ou trois fois, on peut penser que l’Algérie finance deux écoles ou qu’elle finance deux fois l’usine à échec.

Le préscolaire et le primaire sont la source des problèmes qui affectent cette école. Il faut savoir que l’Algérie enseigne aux enfants de 3-9 ans une langue de la communication quotidienne. Ce niveau de langue ne prépare pas les enfants à faire des études. L’Europe enseigne aux enfants de 3-8 ans la langue de la culture, la langue des écrivains. Le problème de l’école algérienne se situe au niveau de la définition de la langue de scolarisation. Deux visions de la langue scolaire s’opposent : langue des écrivains et langue de communication quotidienne. De la vision européenne découle : le livreobjet culturel. Exemple : titre : « Le loup et les sept chevreaux », Auteur : Grimm. Titre : ‘Le corbeau et le renard’. Auteur : Jean de La Fontaine. De la vision algérienne découle Le manuelobjet non culturelExemple : Titre : « Mes premiers apprentissages » ; Auteur : Un groupe de travail. Titre : « Ma langue fonctionnelle » ; Auteur : Un groupe de travail.

En Europe, un seul titre, un seul conte offre à l’enfant en moyenne 1000 à 2000 mots au quotidien. En Algérie, le manuel offre une cinquantaine de mots nouveaux par an.  Des mots simples et concrets, des mots de la vie quotidienne. Or, c’est avec des mots que l’être humain peut raisonner. Limiter le vocabulaire de l’enfant, c’est le condamner à l’exclusion. Le manuel est donc bien la cause première du mauvais classement de notre système éducatif dans le monde.

Ce qui répond à votre question : la langue instrument de communication ne prépare pas l’enfant au langage des maths et des sciences.

Les élèves pointent du doigt le niveau des enseignants qui éprouveraient de grandes difficultés dans la transmission de ces disciplines ?

Dans le système éducatif national, l’enseignant est formé par l’inspecteur. L’inspecteur est sa seule source d’information. Il faut donc s’interroger sur la pertinence de l’offre de l’inspecteur. Or, cet inspecteur est lui-même formé à coup de stages dans des officines étrangères. C’est le serpent qui se mord la queue. Que de lignes de crédit ont été englouties dans les stages d’inspecteurs ! Le système tout entier repose, depuis 50 ans, sur un stagiaire, un éternel stagiaire.

Le constat officiel de l’échec de cette école démontre une fois de plus l’inutilité du lien de subordination vis-à-vis de l’aide étrangère en matière de pédagogie. Aujourd’hui le maître est universitaire (majoritairement). Ce qui lui octroie le titre de professeur. Inspecteur et inspecté sont donc supposés être au même niveau intellectuel. Comment expliquer que le professeur continue d’être réduit au rang de tâcheron qui exécute les ordres de l’inspecteur ? Depuis 50 ans, l’inspecteur a servi de courroie de transmission aux intérêts d’une politique supra nationale. Briser le lien de subordination vis-à-vis de l’aide étrangère revient à permettre au professeur de jouer pleinement et librement son rôle. À ce moment-là, il pourra assumer totalement ses responsabilités.

Le discours médiatique des portes-parole du ministère de l’Éducation est centré sur le slogan  de « gouvernance moderne ». Or aujourd’hui, l’enquête internationale TALIS (The OECD Teaching and Learning International Survey) révèle une très grande diversité de modes de fonctionnement dans les pays de l’Union européenne. L’enquête démontre une pluralité de voies possibles (près de 200) dans la mise en œuvre d’un même objectif éducatif. Pour la même finalité, les voies pour y accéder peuvent différer d’une école à l’autre. Or, l’Algérie n’autorise qu’une et seule voie, celle des inspecteurs. Cette voie unique empêche et entrave toute initiative. La voie unique est donc aux antipodes des modes d’organisation modernes. Aujourd’hui, la gouvernance collégiale, le modèle d’enseignement en équipe semble se généraliser. La pédagogie est l’affaire de toute une équipe, et non plus l’affaire de l’inspecteur qui donne des ordres à exécuter.

Les élèves sont assez peu motivés dès qu’ils passent au collège. L’école algérienne n’est donc plus le lieu idéal pour l’apprentissage ?

Encore une fois, le préscolaire et le primaire sont à la source des problèmes du manque de motivation chez les collégiens. On voudrait qu’un enfant qui croule à 5 ans sous les exercices, devoirs, notes, moyennes, compositions, bulletins, classements, examens, redoublements, révisions, punitions, soutien, se passionne un beau jour pour les études au collège.

Le problème de la motivation est lié aussi à des paramètres extérieurs à l’acte pédagogique.

Au 21e siècle, on assiste à une reconfiguration des écoles. Des dispositifs sont mis en œuvre induisant des changements profonds. Par exemple, l’émergence d’écoles à vocations multiples. Ils fonctionnent comme des Clubs, des Bibliothèques, des Centres de loisirs, Centres aérés ouvrant le soir, les weekends et les vacances. Plusieurs dispositifs coexistent dans un même pays.  Ces dispositifs suscitent la motivation et l’engagement des élèves et par la même permettent à l’enfant de mieux apprendre. Ces dispositifs permettent aux enfants de s’approprier les lieux ; de favoriser les rencontres entre enfants ; de nouer des liens d’amitié. C’est au préscolaire et primaire que se construit le « vivre ensemble » ; tous ces paramètres extérieurs vont assurer la concentration dans les séances de cours. Sans oublier le respect des rythmes chronobiologiques. Rythmes totalement ignorés par les responsables de l’éducation.

Faut-il revoir les modalités d’organisation de l’examen du baccalauréat ?

La Conférence nationale sur l’évaluation de la réforme de l’école du 25 et 26 juillet 2015 a donné lieu à un déluge de propositions d’Algériens (plus de 300), parmi lesquelles des propositions de réforme du Bac qui avaient obtenu l’adhésion générale. Résultat des courses, aucune de ces propositions n’a été concrétisée. En revanche, de cette conférence sont sortis deux cadeaux empoisonnés que personne n’a demandés. En effet, personne parmi les participants algériens n’a revendiqué le manuel de 2Génération ; de même qu’aucun Algérien n’a soufflé mot sur l’entreprise de déviation de la transmission culturelle dans les Mosquées ! Les propositions des néo-colonialistes sont validées et présentées comme des conclusions de la concertation nationale. Le glissement vers le manuel de 2e génération est passé comme une lettre à la Poste. La déviation de la transmission est passé totalement inaperçue.

Quels sont les conseils que vous pourriez donner aux candidats au Bac ?

L’importance donnée à cet examen est disproportionnée. Il faut dédramatiser. Aujourd’hui, il y a des alternatives au Bac ; par exemple, les certifications qu’on peut passer en ligne. Ces certifications sont des diplômes reconnus à travers le monde. Ces examens en ligne ne sont pas stressants, on peut les repasser plusieurs fois ; il n’y a pas de dates battoirs.

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