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Entretien avec Mohcine Belabbas : « Dès 2014, nous savions que cela allait mal se terminer »

Entretien avec Mohcine Belabbas : « Dès 2014, nous savions que cela allait mal se terminer »

NEWPRESS
Mohcine Belabbas, président du RCD

De nombreux incendies se sont déclarés depuis quelques jours dans le Nord du pays. Samedi, le Premier ministre a effectué une visite à Alger. Comment expliquez-vous le silence des autorités que vous dénoncez ?

 

Nous savons que la sortie du Premier ministre sur Alger était programmée depuis un moment. Mais vu l’ampleur des dégâts occasionnés par les incendies ayant touché essentiellement les wilayas du Nord du pays, le minimum pour le Premier ministre était de se déplacer, voire de mettre en place une cellule de crise. Durant trois jours, j’ai suivi ce qui se passait au niveau de certaines wilayas dont Tizi Ouzou, Boumerdès et Béjaïa. Les populations, qui ne voyaient pas les renforts arriver, étaient désemparées. Le mutisme des plus hautes autorités du pays, notamment à travers les médias lourds, alors que des morts et de nombreux blessés étaient enregistrés reste inexpliqué. Ce dramatique épisode des incendies de cet été est, le moins que l’on puisse dire, un ratage pour le nouveau Premier ministre.

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Pourquoi l’absence d’une réaction rapide ?

En réalité, l’explication est à chaque fois la même. Ces responsables ne sont pas issus d’élections libres. Ils n’ont pas été choisis par les citoyens. Ils ont été désignés. Cela leur fait croire qu’ils n’ont pas de compte à rendre aux citoyens puisqu’ils n’ont pas l’habitude de le faire. Ils gèrent le pays comme n’importe quelle administration. Cela étant dit, ce n’est pas la première fois que les autorités tardent à réagir en face de drames ou de catastrophes naturelles. Lors du séisme de 2003 à Boumerdès, le chef de l’État s’était déplacé dans un pays africain pour assister à un forum sur le Sida. Lors des intempéries de Bab El Oued en 2001, il a eu la même attitude même si des ministres se sont déplacés rapidement. Pourtant, il était à quelques kilomètres du lieu de la tragédie.

Comme avec les incendies cette fois-ci ?

En effet, plusieurs wilayas ont été touchées et à ce jour, seule la wilaya de Tizi-ouzou a reçu la visite du ministre de l’Intérieur. Bien qu’en retard, ce déplacement est à saluer d’autant plus que des indemnisations pour les victimes ont été annoncées. J’espère que toutes les wilayas atteintes par les feux seront prises en considération dans l’application de cette décision et dans les plus brefs délais.

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Ali Haddad a été prié de quitter la salle de l’École supérieure de la Sécurité sociale où le Premier ministre devait faire une halte dans le cadre d’une visite de travail. Il a également été mis en demeure par rapport à certains projets. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Des députés du parti étaient sur place le jour de la visite. Ils ont entendu le chef du protocole discuter avec le chef du centre en question. Selon nos informations, il était question de faire sortir Sidi Saïd et la délégation de l’UGTA. Par la suite, nous avons lu dans la presse qu’Ali Haddad était également présent. Quoi qu’il en soit, ce genre de compagnonnage d’intérêts construit dans des conjonctures particulières se termine toujours ainsi. Dès 2014, nous savions que cela allait mal se terminer. Ce genre de relations rentre dans le cadre de l’éternelle lutte des clans au sein du régime.

En 2016, Issad Rebrab avait déclaré qu’il rencontrait de nombreux obstacles parce qu’il était kabyle. Vous croyez à une campagne contre les hommes d’affaires kabyles ?

Je ne vois pas les choses de cette manière. Je sais qu’il y a des hommes d’affaires qui ne sont pas kabyles et qui rencontrent des problèmes semblables. Personnellement, je crois qu’il y a d’abord de l’incompétence au niveau du gouvernement. Ensuite, je sais que les ministres et le Premier ministre n’ont pas la liberté totale d’agir. Ils attendent toujours des instructions qui viennent d’en haut. Je ne sais pas si Ali Haddad a des problèmes. En ce qui concerne les obstacles rencontrés par Issad Rebrab, ils ne sont pas récents. Actuellement, il fait face à des blocages sérieux notamment au niveau du port de Béjaia qui sont assumés par l’administration, le directeur du port et le gouvernement.

Le RCD soutient Issad Rebrab à Béjaia. Est-ce un soutien de principe ? Et si c’est le cas, pourquoi vous ne soutenez pas les autres hommes d’affaires ?

Pour qu’un parti politique agisse de la sorte sur une question donnée, il faudrait d’abord qu’il soit au courant, c’est-à-dire que le conflit soit porté sur la place publique. Le litige entre M. Rebrab et l’administration du port de Béjaïa est déjà sur la place publique par l’entremise du collectif des travailleurs de Cevital. Un comité citoyen s’est même constitué autour de cette question. Nous avons des élus au niveau local qui ont été saisis et associés par ce comité.

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En tant que parti politique, nous ne pouvons rester sans voix sur un dossier d’investissement qui mobilise les citoyens. Il s’agit avant tout d’une violation de la réglementation en vigueur, nous l’avons dit. Et à chaque fois que nous avons été sollicités sur des cas pareils, nous avons agi, dénoncé, voire même accompagné un certain nombre d’autres entrepreneurs et hommes d’affaires pour régler des problèmes lorsqu’il s’agit de l’intérêt général sans que cela ne soit médiatisé. Ce n’est pas tout le monde qui voudrait que ce genre de problèmes soit porté sur la place public.

En général, un problème est médiatisé quand le blocage est assumé au niveau gouvernemental. Par la recherche du sensationnel et parfois en raison de considérations extraprofessionnelles à la corporation, la presse aussi participe à donner à des conflits des caractères qui sont loin de revêtir.

Comment faut-il interpréter ces blocages ?

Il est très difficile de répondre à une question pareille. Selon les informations que j’ai à mon niveau, il s’agit de favoriser un entrepreneur qui investit dans le même secteur. Je n’ai pas plus de détails là-dessus sauf que c’est une conséquence d’une compétition qui est, sous d’autres cieux, réglée pour ne pas dire régulée grâce à la transparence et à un marché libre.

Abdelmadjid Tebboune a promis la séparation entre le pouvoir et l’argent. Vous y croyez ?

Ce qui est intéressant est la reconnaissance tacite que par le passé il y a eu une jonction entre le pouvoir politique et le monde des affaires. Nous l’avions constaté depuis longtemps. Mais est-ce qu’il s’agit seulement d’un règlement de compte avec son prédécesseur ou d’une volonté réelle ? Je ne sais pas. Je suis par contre certain qu’il ne pourra pas le faire parce qu’il ne dispose pas d’un tel pouvoir.

Qui a ce pouvoir ?

C’est le chef de l’État.

Est-ce que Tebboune pouvait faire ce genre de déclarations sans l’aval du Président de la République ?

Nous avons enregistré des déclarations semblables de par le passé et qui n’ont eu aucune suite. C’est plus pour la consommation interne de conjoncture.

Tebboune a annoncé le lancement d’un dialogue autour de la situation économique du pays. Quel est son utilité aujourd’hui ?

Cela fait près de cinq ans que nous disons la même chose : il faut dialoguer. Tout dialogue est par définition utile. Il doit même être permanent. Le gouvernement et le pouvoir en général n’ont pas d’autres choix puisque nous sommes confrontés à une situation où la nation algérienne est divisée. Elle ne l’a jamais été comme aujourd’hui. Sauf que je n’ai rien compris aux déclarations de M. Tebboune. Quand on veut organiser un dialogue, il faut être assez précis sur les points à débattre, les objectifs et sur les partenaires concernés.

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Quelles seront les conditions du RCD pour participer à ce dialogue ?

Nous ne pouvons pas parler de conditions sur une initiative qui n’est pas encore claire. Nous ne pouvons pas non plus décliner une invitation que nous n’avons pas reçue. Mais nous sommes convaincus que le pays a besoin de dialogue. Je ne suis pas un pyromane ou quelqu’un qui va profiter de la crise pour régler des comptes et attendre de manière passive que la situation dégénère parce qu’elle provoquera la chute de l’Algérie.

Est-ce normal que le PDG de Sonatrach soit binational ?

Le RCD s’était justement opposé aux mesures introduites dans le cadre de la révision constitutionnelle, notamment l’article 55 qui s’attaquait aux binationaux. Moi je ne pense pas que ce soit un problème qu’un binational soit patron d’une société publique ou privée. Sonatrach est une importante entreprise économique. Le débat doit porter sur son devenir avec la baisse tendancielle des réserves en hydrocarbures pour lui permettre de se redéployer en terme d’affinage des techniques d’exploitation, de recherche minière et pourquoi pas de captage de marchés ailleurs. Si on la confine « à pomper », elle n’y aura plus de Sonatrach dans quelques temps car nos réserves diminuent dramatiquement. En période de crise, il faut penser en termes d’intérêts et de quel cahier de charge, Ensuite, est-ce que ce patron répond au profil ? Plus terre à terre, va t’on engranger plus de bénéfices ou va-t-on gagner moins et perdre des emplois ?

Pourquoi avez-vous demandé une commission d’enquête sur Club des Pins ?

Il y a de nombreuses anomalies. Est-ce normal que le Sheraton soit rattaché au Club des pins ? Est-ce normal que le directeur de Club des pins soit en même temps patron d’une structure privée ? Est-ce normal que l’essentiel des habitants de Club des pins ne soient plus en fonction depuis des années et que les Algériens lambda n’aient pas accès à ce territoire de la République ? Non, ce n’est pas normal. De nombreuses résidences haut standing ne sont pas occupées depuis cinq ans. Cela aussi n’est pas normal. Est-ce normal qu’un député d’Alger ou qu’un journaliste n’ait pas l’information exacte sur le nombre d’habitations ? Nous avons lu le dernier rapport de la Cour des comptes. Celle-ci se pose aussi des questions sur la gestion du Club des pins. Dans notre programme électoral, nous avons valorisé un peu plus le secteur du tourisme.  Nous avons commencé à lister les infrastructures qui peuvent être récupérées. Nous avons commencé par Club des pins qui était déjà géré par le secteur du tourisme mais il y beaucoup d’autres à commencer par les résidences de hauts responsables qui doivent revenir au patrimoine public.

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