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ENTRETIEN. Zoubida Assoul : « Ce n’est pas la bonne démarche »

ENTRETIEN. Zoubida Assoul : « Ce n’est pas la bonne démarche »

Me Zoubida Assoul, présidente du parti de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), ancienne magistrate et actuellement avocate

Me Zoubida Assoul, est présidente du parti de l’Union pour le changement et le progrès (UCP). Ancienne magistrate et actuellement avocate, Me Assoul s’est distinguée dans la défense des détenus politiques et d’opinion. Elle nous livre dans cet entretien ses réflexions sur la situation politique en Algérie, l’avenir du Hirak, l’acquittement des Quatre, la question des détenus d’opinion….

L’acquittement de Saïd Bouteflika, Tartag, Toufik et Louisa Hanoune dans le dossier du « complot » a donné lieu à des lectures diverses. Quelle est la vôtre ?

Faire un commentaire sur des décisions judiciaires pour une ancienne magistrate et une avocate comme moi, ce n’est pas du tout de mes habitudes.

Par contre, je peux dire que cette décision a mis à nu la dépendance de la justice, du pouvoir politique et militaire, dans notre pays. Et encore plus, en ce qui concerne la justice militaire.

Beaucoup de gens savent que cette affaire a été un règlement de compte au sein des différents clans. Son déclenchement et la mise sous mandat de dépôt des généraux Toufik et Tartag, Saïd Bouteflika et Louisa Hanoune, sur la base de l’accusation de complot contre l’État ressemblait beaucoup plus à un règlement de compte que vraiment à une volonté politique d’assainissement. Depuis le départ l’opinion publique nationale l’avait compris.

Aujourd’hui, par cette décision d’acquittement, c’est surtout la justice militaire qui a été mise à mal à travers sa première décision de condamnation et de la mise sous détention.

Finalement, y a-t-il eu complot ou non ?      

Aujourd’hui, le tribunal militaire et à travers cette décision de la Cour suprême qui a cassé la décision de la Cour militaire, la justice nous dit qu’il n’y a pas eu complot puisqu’ils ont été acquittés.

Cette affaire a donné lieu à des appels pour libérer les détenus d’opinion, une demande formulée y compris par la défense des « 4 ». Pensez-vous autant ?  

Personnellement, j’avais été la première à le dire quand la décision a été rendue, et surtout quand le 18 décembre la Cour suprême avait cassé le jugement prononcé en première instance et en appel, j’avais dit qu’on aimerait bien voir, surtout au sein de la Cour suprême qui est une juridiction de droit, les mêmes mesures de réhabilitation mais aussi de célérité dans le traitement des affaires des détenus d’opinion. Et je l’ai dit lorsqu’il y a eu le retour en Algérie de l’ancien ministre de la Défense, le général Khaled Nezzar.

| Lire aussi : « On ne peut parler d’une Algérie nouvelle avec des détenus d’opinion, des lois liberticides… »

 J’ai dit que si le pouvoir en place considère que cette affaire a été fabriquée par l’ancien chef d’état-major (Ahmed Gaid Salah) pour régler des comptes avec un certain nombre d’adversaires politiques ou militaires, il fallait aussi rappeler que l’ancien chef d’état-major avait fabriqué des dossiers et des poursuites purement politiques contre des civils, à la fois des politiques, des activistes du Hirak et des journalistes.

Et j’ai donné tous les cas des gens qui sont encore en prison, tels que Rachid Nekkaz, Khaled Drareni et Ali Ghediri. Non seulement, ils ont droit au rétablissement de la vérité, mais aussi ils doivent bénéficier des mêmes mesures et donc les relâcher immédiatement.

Mais pas que. Il faut aussi les réhabiliter. Depuis un an que je défends en tant qu’avocate les détenus politiques et d’opinion, je peux vous dire que tous les dossiers, c’est écrit noir sur blanc dans les PV, c’étaient des poursuites suite à des ordres militaires. Alors que les poursuites pénales, normalement, sont dirigées par le ministère public et non pas par des dirigeants militaires.

Quel avenir pour le Hirak ?

Le Hirak est une révolution pacifique des citoyens algériens qui sont sortis par millions, pendant plus d’une année pour exiger une rupture avec le système en place, que le pouvoir lui-même qualifie aujourd’hui de système véreux, corrompu et a été à l’origine de la faillite du pays sur tous les plans : économique, politique, social et moral.

 Après avoir dépensé pendant le règne de Bouteflika plus de 1 200 milliards de dollars et qu’aujourd’hui le chef de l’État lui-même reconnaît qu’il y a 15 000 zones d’ombre, cela veut dire que toute l’Algérie est une zone d’ombre.

Il est donc nécessaire que les Algériennes et les Algériens se mobilisent autour d’objectifs communs et d’éviter toutes les questions partisanes. Ce qui nous a d’ailleurs poussé nous au PAD (Pacte de l’alliance démocratique) de dire qu’il faut d’abord que nous constituions un rappel de force de manière à aller vers la solution politique qui peut assainir la situation et reconstruire l’Algérie sur de nouvelles bases. C’est fondamental.

Vous ne pouvez pas aller vers une ‘’Algérie nouvelle’’ avec les mêmes pratiques, avec les mêmes hommes, institutions et le même mode de gouvernance. Aller encore à des élections ne va rien régler de la crise profonde.

| Lire aussi : Le pouvoir, le Hirak et les élites

Comment qualifieriez-vous la situation politique actuelle en Algérie ?

Nous sommes dans une situation où le pouvoir est mis à mal. D’abord le chef de l’ État qui n’a pas de parti politique, qui n’a pas d’assise populaire, et on connaît les conditions de son élection le 12 décembre 2019.

Il a initié un amendement de la Constitution et on a bien vu la réponse du peuple : selon les chiffres officiels du Conseil constitutionnel, ce sont 77 % des Algériens qui ont tourné le dos à cet amendement qui, politiquement, est un échec pour le chef de l’État.

 Il n’a pas pu rassembler et n’a pu obtenir d’engouement, la majorité des électeurs ont tourné le dos à cet amendement. Donc, aujourd’hui, la crise est là. Il y a eu l’élection d’un président et l’amendement de la Constitution, mais la crise est toujours là.

Cela veut dire que ce n’est pas la bonne démarche. S’ajoute aussi son absence pendant deux mois et son état de santé qui n’est pas reluisant. Pour moi, le chef de l’État est aujourd’hui toujours dans une démarche de déni, parce qu’il ne veut pas reconnaître qu’il y a des problèmes, qu’il y a toujours une crise, il ne veut toujours pas reconnaître qu’il y a un peuple qui est sorti dans la rue pour demander la rupture avec ce système.

Et qui a demandé un dialogue national, des institutions totalement indépendantes pour redonner au peuple sa souveraineté afin de choisir librement ses représentants.

L’élément nouveau, c’est l’aggravation de la situation économique et sociale, un pouvoir d’achat en chute, une dégringolade de la valeur du dinar, et les ressources du pays sont en train de diminuer, mais malheureusement on ne voit toujours pas de feuille ou des décisions sur le terrain qui nous offrent une visibilité de changement.

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