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France : après l’Algérie, les « Frères musulmans », le nouvel levier électoral

Après l’Algérie, les Frères musulmans. Le courant extrémiste en France a trouvé un autre sujet porteur en prévision des prochaines échéances, notamment la présidentielle de 2027. La divulgation en ce moment précis d’un rapport sur l’action des Frères musulmans en France n’est pas fortuite, estiment de nombreux observateurs, qui y voient une opération de communication « millimétrée ».

Le timing pose, en effet, question. La fuite de la teneur du rapport dans la presse survient quelques jours après la victoire de Bruno Retailleau au congrès des Républicains. Le ministre de l’Intérieur a utilisé l’Algérie comme tremplin pour obtenir la présidence du parti de droite. Il est maintenant soupçonné de viser plus haut, la présidentielle de 2027, et de ratisser plus large en comptant sur les inévitables amalgames qui accableront les musulmans dans le sillage de cette chasse déclarée au « frérisme » et à « l’entrisme » islamiste.

La rhétorique utilisée par les politiques de droite et d’extrême-droite et par les éditorialistes de la presse proche du même courant annonce déjà la couleur. Il est question de « danger global », d’islamisme « conquérant », de vaste complot pour islamiser la France et appliquer la charia…

L’épouvantail est destiné à faire peur et à convaincre les derniers Français encore réticents.

Ce rapport est destiné à créer « un choc » dans la société et à « convaincre la France » du danger islamiste, a avoué Gérald Darmanin qui l’a lui-même commandé lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. « Nous n’avons pas besoin de ce rapport pour comprendre ce qu’il se passe, nous le savons », a confirmé son entourage dans Le Journal du Dimanche.

Le rapport a fait l’objet d’un conseil de défense autour du président Emmanuel Macron mercredi 21 mai. Les calculs politiciens n’ont pas échappé au chef de l’État français, qui, selon des comptes-rendus de presse française, a recadré ses ministres, en commençant par celui de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Macron leur a demandé de revoir leur copie et de la présenter lors d’un prochain conseil de défense en juin. Le président se serait aussi montré agacé par les fuites sciemment organisées dans la presse. Retailleau est soupçonné d’en être l’auteur.

France : après l’Algérie, les Frères musulmans comme nouveau tremplin politique

Emmanuel Macron a compris l’objectif recherché derrière cette opération orchestrée et a mis en garde contre davantage de stigmatisation de la communauté musulmane de France. Cette dernière fait face à une montée inquiétante de l’islamophobie qui a culminé le 24 avril dernier avec l’assassinat d’un fidèle dans une mosquée du Gard.

« On ne peut pas donner l’impression que tous nos compatriotes musulmans sont des agents d’influence des Frères musulmans », aurait-il recadré ses ministres. Macron a encore en tête l’effet qu’a provoqué dans le monde musulman son discours prononcé en 2020 sur l’affaire des caricatures du prophète de l’Islam.

« Bruno Retailleau ne ménage pas ses efforts pour tirer un profit politique de la publication de ce rapport », écrit le journal en ligne Mediapart, auprès duquel des responsables du gouvernement et de l’administration ont dénoncé une « instrumentalisation à des fins personnelles ».

Sur cette question, Retailleau fait des émules, à fortiori maintenant que sa recette a montré son efficacité avec son éclatante victoire dans la course à la présidence des Républicains.

Gérald Darmanin, le ministre de la Justice, alerte sans cesse sur le nombre de personnes « dans l’État et les collectivités locales » qui seraient selon lui « sous l’influence des Frères musulmans ». L’ancien Premier ministre Gabriel Attal fait même de la surenchère en proposant d’interdire le voile islamique dans l’espace public pour les moins de 15 ans. Une proposition qualifiée de démentielle par l’ancien conseiller du président Nicolas Sarkozy Henri Guaino.

Édouard Philippe, sérieux prétendant pour 2027, a promis lui aussi de ne plus « fermer les yeux » devant ce qu’il appelle « l’essor du communautarisme ».

France : l’ex-Premier ministre Gabriel Attal propose d’interdire le voile aux mineures

Dans cette course à la récupération politicienne, le risque est de libérer davantage la parole raciste et de conforter les amalgames qui accablent les musulmans depuis plusieurs années.

Sur CNews, l’ancien député européen Karim Zéribi a démontré que les conclusions du rapport sont biaisées, soulignant par exemple que le fait que 91.000 fidèles fréquentent des mosquées de l’organisation Musulmans de France ne signifie pas qu’ils sont tous proches des Frères musulmans. « Les fidèles fréquentent en général des lieux de culte de proximité » a-t-il simplement expliqué.

Hélas, a regretté l’homme politique, « la confusion est faite dans l’esprit des Français ». Et si c’était justement là l’objectif recherché ?

M’jid el Guerrab, ancien député des Français de l’étranger, a pointé la dangerosité de ce rapport et les amalgames qu’il peut charrier sur les musulmans de France.

« Mais au lieu de parler sérieusement du fait religieux, de la République, de la jeunesse… ce rapport préfère réactiver un fantasme : l’idée que l’ « islamisme » serait une stratégie cachée derrière chaque musulman. C’est faux. C’est injuste. Et c’est dangereux », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux.

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