Politique

Islamophobie en France : Hafiz fustige Eric Zemmour et hausse le ton

Avec l’assassinat d’un jeune musulman dans une mosquée en France vendredi 25 avril, une ligne rouge a été franchie. Même si le “deux poids, deux mesures” a encore prévalu dans l’indignation et le buzz médiatique, pour la communauté musulmane de France, c’est l’attaque de trop face à laquelle il n’est plus possible de se taire.

Rien ne sera plus jamais comme avant ? 

“Hier, nous avons levé un cercueil. Ce matin, nous levons la voix.” C’est ainsi que, au lendemain de la levée du corps d’Aboubakar Cissé à la Grande mosquée de Paris, le recteur Chems-Eddine Hafiz a conclu une tribune dans la revue de l’institution, Iqra.

L’écrit de Hafiz est un véritable réquisitoire contre l’islamophobie, ceux qui la promeuvent et ceux qui la nient. De ses propos, il ressort une détermination de l’homme et de la communauté musulmane de France à ne plus se taire, encore moins à faire profil bas. L’assassinat horrible du jeune malien Aboubakar Cissé alors qu’il priait dans une mosquée du Gard, vendredi 25 avril dernier, est l’acte islamophobe de trop. S’il n’a pas fait bouger comme il se doit toute la classe politique française, pour la communauté musulmane, il y aura un avant et un après ce crime, semble vouloir dire entre les lignes Chems-Eddine Hafiz.

Même les images insoutenables de l’assassinat n’ont pas fait changer d’avis à certains qui se réclamaient encore de la droite républicaine, refusant de nommer la haine qui a causé le drame : l’islamophobie. “Car ce qui a été dit hier avec force, c’est aussi ce que tant refusent encore de regarder en face. Un attentat islamophobe a eu lieu”, rappelle Hafiz, dénonçant aussi le refus “malgré l’évidence, malgré l’horreur”, des plus hautes instances républicaines, les présidences de l’Assemblée nationale et du Sénat, “d’observer une simple minute de silence”. “Ce refus est une offense”, tonne-t-il.

Mais il y a pire, avec cette déclaration “aussi infâme que révélatrice” d’Eric Zemmour qui “a osé affirmer que si Aboubakar Cissé avait été expulsé, il serait encore vivant”, a dénoncé Hafiz.

Le cynisme de Zemmour n’étonne pas. Mais il était attendu de lui au moins qu’il fasse profil bas. Car, moralement, il porte une grosse part de responsabilité dans ce qui arrive aux musulmans de France, lui et tout le courant extrémiste, avec ses médias.

Lutte contre l’islamophobie : Chems-Eddine Hafiz exprimé la détermination des musulmans de France 

Les propos de Zemmour, “de violents coups bas”, étaient justement tenus sur une chaîne de télévision sans faire réagir “aucune autorité politique, ni aucun organe de régulation”, fustige Chems-Eddine Hafiz. “Ce silence-là, nous ne l’accepterons plus” et “nous refusons d’assister, une fois encore, à la répétition du même cycle d’émotion stérile, suivi d’un oubli institutionnalisé”, assure-t-il.

“Les musulmans de France ne sont pas seulement une communauté endeuillée. Ils sont une force de proposition. Une force lucide, ancrée, déterminée à ne plus laisser les choses se faire sans elle”, insiste-t-il. Le recteur de la Grande mosquée de Paris fait ensuite une série de propositions, des “chantiers qu’il faut ouvrir sans délai”.

Il faut d’abord, suggère-t-il, repolitiser le débat sur l’islamophobie qui n’est pas “une simple intolérance”, mais “l’héritière d’un racisme qui plonge ses racines dans notre passé colonial refoulé”. Pour lui, il est temps que l’État reconnaisse officiellement le caractère systémique de l’islamophobie en France, de mettre sur pied une commission chargée de documenter les discriminations islamophobes dans les services publics, l’école, la police, le logement ou l’emploi et de mettre fin à la dissolution arbitraire des associations musulmanes.

L’ignorance étant “le terreau de toutes les peurs”, Chems-Eddine Hafiz estime que ce combat pour la justice ne se gagnera pas “sans un travail de fond sur la mémoire et sur le savoir”. “On ne pourra éradiquer l’islamophobie tant que l’histoire coloniale de la France, tant que la présence historique de l’islam sur ce sol, tant que les luttes antiracistes menées par des générations de citoyens seront passées sous silence”, signale-t-il.

Le recteur de la Grande mosquée de Paris propose aussi d’encourager les médias qui s’engagent contre les préjugés, par “un label public” et “un soutien financier”. Et évidemment, il faudra intégrer l’islamophobie dans le Code pénal “comme circonstance aggravante autonome, à l’image de l’antisémitisme”. Mais, signale-t-il encore, “au-delà des textes, c’est un imaginaire républicain nouveau qu’il faut construire”, proposant  la mise en œuvre d’un Plan national “République plurielle”, inspiré des expériences canadiennes ou allemandes.

Et comme nul décret ne pourra remplacer  la parole politique, la France a besoin, selon Chems-Eddine Hafiz, d’un discours solennel sur l’islamophobie qui dise, sans ambiguïté : “L’islamophobie n’est pas une opinion. C’est une discrimination.”

Les plus lus