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La France méritait-elle de gagner la Coupe du monde ?

La France méritait-elle de gagner la Coupe du monde ?

« Je m’en fous d’être un champion du monde moche ». L’expression est de l’attaquant français Antoine Griezman qui répliquait aux piques du gardien belge Thibaut Courtois à propos du jeu peu attractif développé par les Bleus durant ce mondial russe.

Si les critiques n’avaient fusé que de Belgique, on les aurait mises sur le compte de la frustration qui s’est emparée du plat pays suite à l’élimination en demi-finale de ses Diables pourtant mieux organisés, plus vifs et plus entreprenants, par une équipe de France qui s’est contentée 90 minutes durant de repousser les assauts de Hazard, De Bruyne et Lukaku.

L’arbitrage vidéo en cause

Dans cette demi-finale contre les Belges, les Français avaient réussi un exploit unique dans les annales à cette échelle : un but pour zéro occasion. Un paradoxe suffisamment rare pour échapper aux observateurs du reste du monde qui n’ont pas manqué non plus de relever une autre anomalie difficilement contestable, celle de l’avant-centre Olivier Giroud qui n’a pas signé le moindre but en sept matches presque pleins.

Il y a aussi l’arbitrage vidéo, la nouveauté de cette Coupe du monde, qui a créé plus de polémiques qu’il n’en a évité. En finale justement, le penalty accordé à la France grâce au recours à cette technologie a soulevé des vagues de critiques, les uns estimant qu’il n’y avait pas faute, les autres y voyant le tournant du match en ce sens que le moral des Croates a été sapé irréversiblement.

Dans les pays dont les sélections ont eu à subir le hold-up des Bleus en Russie et partout ailleurs, y compris en France, on reconnaît que l’édition 2018 de la Coupe du monde n’a pas récompensé le meilleur jeu. Ce qui est loin de constituer une tradition au Mondial. Si l’on excepte celle de 1994 qui a vu le Brésil triompher sans briller, la Coupe du monde a presque toujours échu aux équipes « complètes », c’est-à-dire celles qui allient rigueur défensive, volume de jeu, animation offensive et talents individuels.

Ce fut le cas de l’Espagne qui a conquis le monde avec son tiki taka en 2010, de l’Italie qui n’a renoué avec le couronnement mondial qu’en abandonnant son célèbre catenaccio en 2006 ou encore de l’Allemagne qui, en 2014, s’est avérée une machine à marquer, jusqu’à mettre sept pageots au Brésil sur ses propres terres. Cette Coupe du monde russe, elle, a récompensé le jeu le plus efficace. On a rarement vu un tel réalisme à ce niveau.

Didier Deschamps, le sélectionneur que la France célèbre aujourd’hui comme un héros, savait ce qu’il voulait dès le début. Et surtout comment y parvenir. Il était venu en Russie pour remporter le titre mondial avec, quelque part au fond de sa tête, le souvenir de l’issue dramatique de la dernière finale de l’Euro où le Portugal, sans Cristiano, sa star planétaire, avait mis dedans, en prolongations, l’une des rares occasions qu’il s’était procuré durant tout le match, privant la France, chez elle, d’un autre titre majeur qui lui tendait les bras. Expérience traumatisante ? Peut-être. Deschamps a surtout appris que, dans ce genre de tournois, l’histoire ne retient que l’issue finale, soit le nom du vainqueur. La manière, elle, appartient à la case des détails.

Dommage, car la France avait sans doute les moyens d’allier le résultat et la manière. Avec la vitesse de Mbappé, l’opportunisme et la vision du jeu de Griezman, le talent de Dembélé et l’expérience de Benzema, les Bleus pouvaient cracher le feu et gagner tout en faisant se lever les foules d’admiration. Mais tout au long du tournoi, on a vu Mbappé souvent réduit à des tâches défensives – suivies de contre-attaques- et Dembélé chauffer le banc, pourtant acheté pour 145 millions d’euros par le Barça. Quant à Benzema, buteur de la dernière finale de la Ligue des Champions qu’il a remportée avec le Real Madrid pour la troisième fois d’affilée, il n’a même pas été du voyage en Russie. Ce sont des choix qu’il s’agit désormais de respecter, faute de les saluer.

Le fruit d’un travail de longue haleine

Durant cette Coupe du monde, on a vu de belles équipes, du beau football, du jeu léché et des individualités hors du commun. La Belgique est sans doute celle qui a impressionné le plus avec son maître à jouer Eden Hazard. Le Brésil de Neymar n’a pas non plus démérité, tandis que l’Espagne, impressionnante de maîtrise avant le début du tournoi, a commis l’imprudence de se séparer de son coach à 48 heures de son premier match. La Croatie aussi pouvait prétendre à mieux, même si cette place de finaliste est déjà au-delà des attentes de cette jeune nation.

Néanmoins, dire que le sacre de la France est immérité c’est prendre le risque d’être injuste avec une génération de joueurs talentueux, qui plus est jeune, comme Mbappé qui, lorsque son coach actuel soulevait la Coupe du monde il y a vingt ans, n’était pas encore né. Le groupe pris par Deschamps en Russie présente un paradoxe impressionnant : deuxième plus jeune effectif du tournoi (25 ans et 10 mois) mais le plus cher en termes de valeur marchande des joueurs qui le composent. C’est aussi cela que le Mondial russe a récompensé : le talent et la valeur intrinsèque des joueurs.

Le tournoi fut aussi l’aboutissement de longues années de labeur pour plusieurs nations, précisément celles qui ont misé sur la formation puis l’exportation des talents vers les meilleurs championnats de la planète. Celles qui composent le podium, la France, la Croatie et la Belgique, rentrent justement dans cette case. L’école française est sans doute la plus efficace par ses méthodes bien-sûr, mais aussi par ses valeurs d’égalité et de laïcité qui font que pour réussir dans le foot, il n’est pas forcément nécessaire d’être « bien né ». La diversité est assurément la force première des sélections françaises, tous échelons confondus. Laisser sur le banc le quatrième joueur le plus cher de l’histoire du foot (Dembélé) et à la maison un triple champion d’Europe (Benzema), cela, il n’y a que la France qui peut se le permettre grâce à l’immense vivier que recèlent ses centres de formation.

Un vivier tellement inépuisable qu’il fournit en joueurs d’autres sélections d’un assez bon niveau, comme l’Algérie en 2014 ou le Maroc durant l’édition de cette année. Rien que pour cette politique éclairée des responsables de son football, la France mérite amplement son titre et ceux à venir puisque, au risque de le répéter, le groupe qui vient de conquérir le monde n’a que 25 ans…

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