L’Algérie et la France se dirigent-elles tout droit vers une rupture inéluctable ? Cela semble en tout cas ce à quoi pousse la partie qui pèse le plus en ce moment sur l’échiquier politique français, la droite dure et l’extrême-droite, avec cette obsession à la longue pesante de l’Algérie et de ses ressortissants.
La France, comme toute l’Europe, fait face au problème de l’immigration incontrôlée, c’est indéniable. Il est de son droit, comme toute autre nation, d’appliquer les mesures que ses dirigeants jugent opportunes pour atténuer ou juguler le phénomène. C’est tout aussi indiscutable.
Ce qui l’est moins, c’est cette insistance à faire de l’immigration algérienne un point de fixation. Il est aussi incompréhensible que la relation entre la France et l’Algérie soit réduite avec tant de légèreté à ces questions d’immigration, de visas, de laissez-passer consulaires…
« Une minorité raciste qui a pris le dessus »
Depuis quelques mois, la France donne l’image d’un pays qui a renoncé à tout avec l’Algérie ; au potentiel d’investissement énorme de ce pays, à son marché, à ses hydrocarbures, à son poids et influence au Maghreb et au Sahel, à la dimension humaine de la relation à nulle autre comparable.
À l’exception du Maroc qui est considéré comme un pays ami, le gouvernement français a, semble-t-il, renoncé à la place de la France au Maghreb, au Sahel et dans une partie de l’Afrique, en se focalisant uniquement sur la question migratoire qui se pose avec gravité à tous les pays.
C’est peut-être un tournant historique dans ses relations avec cette région où elle a perdu de l’influence ces dernières années au profit d’autres puissances étrangères comme la Russie et la Turquie.
Il est rare qu’un État étranger soit un sujet électoral à part entière dans le scrutin d’un autre pays. L’Algérie l’a été presque pendant les dernières élections européennes puis législatives en France, uniquement sous l’angle de son immigration indésirable et accessoirement sous celui de la mémoire. Et ça continue.
Le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, un anti-immigration dur et opposé à toute avancée dans le règlement du litige mémoriel avec l’Algérie, multiplie les sorties médiatiques et, depuis sa nomination il y a deux semaines, il lui est rarement arrivé de ne pas évoquer l’Algérie ; sur l’immigration légale ou irrégulière, les reconduites aux frontières et la menace de suspension des visas ou encore l’accord de 1968 sur l’immigration dont il est l’un des pourfendeurs les plus déterminés.
Il l’a encore fait dans un entretien au Figaro mercredi 2 octobre. « Nous sommes très – trop – généreux, sans être payés de retour », a-t-il dit, en comparant le nombre de visas accordés aux Algériens en 2023, et celui des clandestins que l’Algérie a accepté de reprendre pendant la même année.
C’est, en fait, une grande partie de la classe politique française qui fait fausse route en ciblant l’Algérie et les Algériens. Ceux-ci sont certes nombreux en France, mais pas plus nombreux que les ressortissants de certains autres pays.
Selon les statistiques officielles, ils ne représentent que 12 % des étrangers présents sur le territoire français, soit autant que les Marocains. De même que tout le tapage fait autour de l’accord de 1968 relève d’une grosse tromperie.
Des juristes spécialistes de la chose migratoire ont expliqué, clauses du texte à l’appui, que celui-ci ne confère pas aux Algériens les avantages qu’on lui prête et qu’il est loin d’être déterminant pour l’établissement des Algériens en France.
France : l’obsession algérienne de la droite et de l’extrême-droite
Du reste, le gouvernement français pouvait, s’il le jugeait utile, proposer à son homologue algérien une révision sereine de l’accord, sans renvoyer cette impression qu’il s’agit d’un levier de pression, voire de représailles. Dans d’autres contextes très différents, le texte a été révisé à trois reprises et c’est à chaque fois passé inaperçu.
La renégociation d’un traité bilatéral entre deux nations souveraines n’est ni un tabou ni ne peut constituer un casus belli. Il a fait l’objet de trois avenants en 1985, en 1995 et en 2001, qui l’ont « vidé de son contenu », a expliqué le président Abdelmadjid Tebboune samedi soir dans un entretien à des médias algériens.
« C’est une coquille vide et c’est l’étendre derrière lequel marche l’armée des extrémistes », a dénoncé le président Tebboune à propos de la polémique sur l’accord de 1968. Le chef de l’État algérien a accusé une « minorité raciste et haineuse » en France qui a pris le dessus et qui est à l’origine des attaques contre l’Algérie et les Algériens.
Pour le président Tebboune, tout ce qui se dit en France sur l’accord de 1968 et les OQTF est « complètement faux ». Il a accusé le ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau, de « chercher à faire détester l’Algérie par les Français ».
En décembre dernier, Élisabeth Borne, alors Première ministre, avait révélé que la révision de l’accord de 1968 était « à l’ordre du jour ». Il semble même que c’est le souhait également du gouvernement algérien.
Néanmoins, la droite et l’extrême-droite présentent depuis une année et demie la révocation de l’accord comme la panacée contre les flux migratoires ou encore comme un levier de pression sur l’Algérie.
L’idée appartient à Xavier Driencourt, deux fois ambassadeur à Alger et paradoxalement devenu, une fois à la retraite, l’une des voix françaises les plus hostiles au rapprochement entre les deux pays. Ce n’est pas sans raison que son nom a circulé entre les deux tours des dernières législatives comme probable chef de la diplomatie en cas de victoire du Rassemblement national.
Lorsqu’il a suggéré la révocation de l’accord de 1968, en mai 2023, Driencourt avait précisé, en vieux diplomate, que cela pourrait déboucher sur la situation extrême de rupture des relations diplomatiques entre Alger et Paris. Ce qui ne l’a pas empêché de plaider pour franchir le pas.
Et si la rupture était précisément l’objectif ultime de la droite et de l’extrême-droite ? Ce courant politique pousse en tout cas au pourrissement, avec davantage d’acharnement depuis que le président Emmanuel Macron a entrepris de crever l’abcès du passé colonial de la France.
Il est d’autant plus légitime de penser que l’obsession algérienne n’épargne même plus la politique maghrébine de la France. C’est le même courant qui a maintenu la pression, publiquement et pendant plusieurs années, pour amener Emmanuel Macron à changer de cap lorsqu’il s’était mis à regarder plus vers Alger que vers Rabat.
La crise actuelle, l’une des plus graves entre les deux capitales, a ses raisons géopolitiques, mais elle est aussi l’aboutissement de cette volonté continue de faire de l’Algérie le souffre-douleur des maux de la France et de cette hérésie de réduire la relation entre deux grandes nations au quota de visas délivrés.
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