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La réalité amère des violences faites aux femmes en Algérie

La réalité amère des violences faites aux femmes en Algérie

En Algérie, les violences faites aux femmes prennent de l’ampleur et de nouvelles formes se développent, comme les violences obstétricales et vicariantes.

Ce 25 novembre, marquait la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cette journée donne le coup d’envoi de 16 jours de sensibilisation censés se terminer le 10 décembre.  

Sur le terrain, l’activisme est certes présent, mais reste timide. Ce sont essentiellement les quelques associations engagées dans la protection des droits des femmes, qui multiplient les campagnes de sensibilisation, au moment où les officiels, semblent s’être attardés sur le sujet uniquement le 25 novembre. 

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Cette année encore, les chiffres relatifs aux violences faites aux femmes en Algérie, restent conséquents. Ce 18 novembre, le site « féminicides DZ », recensait 37 féminicides dans le pays depuis le début de l’année, contre 55 en 2021.

Au même moment, le bureau central de protection des personnes vulnérables au sein de la direction de la police judiciaire de la DGSN, a enregistré 9.000 cas de violences faites aux femmes contre plus de 11.000 en 2021.

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Si ces chiffres peuvent donner l’illusion d’un recul des violences faites aux femmes en Algérie, il est important de préciser, que le confinement imposé en 2020 et 2021 en raison de la pandémie, avait conduit à une montée des violences domestiques jamais enregistrée jusque-là.

Si l’on considère de surcroît que les femmes qui osent se rapprocher des services de police pour porter plainte sont très peu nombreuses et que certains feminicides passent pour des accidents ou des suicides ; la réalité de la femme en Algérie devient vite alarmante.

Les objectifs des associations se recentrent

Cette année, les mouvements associatifs féministes et de protection des femmes ont lâché du lest dans leurs revendications générales contre le code de la famille. Le combat se centre désormais sur la loi du pardon ou encore, l’étape de réconciliation dans le processus de divorce.

À ce sujet, Wiame Awres, co-fondatrice de Fémincides Algérie nous confie : « Pour accéder à un Etat de droit, il faut absolument abolir la clause du pardon. Concrètement, cette clause vient annuler la portée de la loi (…), cela met la responsabilité entre les mains d’une victime déjà sous emprise et souvent en précarité »

« L’étape de réconciliation vient quant à elle fragiliser d’avantage des victimes qui ont mis des années à prendre la décision de divorcer en les décourageant au lieu de les soutenir ».

Pour la co-fondatrice de feminicides Algérie, « la loi du pardon crée l’impunité pour l’agresseur, puisqu’il sait que la justice va tout faire pour qu’il échappe à sa peine, grâce au pardon accordé par sa victime, et ce, quelle que soit la gravité des blessures. »

Elle ajoute : « Il faut en moyenne une dizaine d’années à une femme pour arriver à s’affranchir des violences domestiques dont elle est victime. Entre l’étape qui lui nécessite de réaliser qu’il s’agit de violences graves et qu’elle doit envisager une séparation et l’étape de la procédure judiciaire qui prend également des années lorsqu’il est question de collecter des preuves pour une plainte, une décennie de maltraitance s’écoule »

Fragilisées, sans ressources, et pas encore reconstruites psychologiquement, la plupart des victimes des violences reviennent vers leurs agresseurs en pardonnant.

Les représentations populaires relatives aux centres d’accueil pour femmes battues ne sont pas pour arranger la situation. Ces centres sont en effet, très peu peuplés pour diverses raisons, mais surtout parce qu’ils sont considérés comme le lieu de la dernière chance.

Ce n’est qu’après avoir expérimenté plusieurs autres options que les femmes algériennes acceptent de se rendre en foyer.

En règle générale, ces séjours en foyer permettent une réinsertion partielle des femmes dans la société. La majeure partie de ces victimes étant sans diplômes qualifiants, elles sont formées grâce à des ateliers de leur choix à des métiers artisanaux.

Ces formations leurs permettent surtout de gagner juste ce qu’il faut pour subvenir à leurs besoins les plus basiques, mais restent insuffisants pour repartir à zéro, tant le coût de la vie est cher en Algérie.

Il leur est donc, impossible de prétendre à une indépendance financière totale sans l’intervention d’une tierce personne, à savoir un membre de la famille proche, ou en pardonnant au mari qui les a conduites en foyer.

L’infantilisation des victimes en foyers

La vie en foyer est, quant à elle, loin d’être un fleuve tranquille. Entre des résidentes à fleur de peau, qui doivent se créer une nouvelle vie, avec leurs enfants à charge la plupart du temps, et un personnel avec lui aussi son lot de représentations patriarcales inévitables, les tensions sont plus courantes qu’il n’y paraît.

Nous avons rencontré Amina, 28 ans. Divorcée et sans ressources, elle n’a pas osé repartir chez ses parents et a entrepris son projet de réinsertion en se dirigeant vers un foyer pour femmes à Constantine. Elle nous confie s’être heurtée à plusieurs reprises à la directrice des lieux qui, selon elle, imposait des « règles carcérales ».

Diplômée en sciences de la communication, Amina dénonce l’infantilisation des femmes en foyer d’accueil. « Il faut entrer dans le moule de la femme battue, qui parle doucement sans lever les yeux, éviter d’exprimer des ambitions non conventionnelles, au risque de se faire taper sur les doigts ».

« Les formations en pâtisseries et cuisine proposées ne m’intéressaient pas, la directrice n’a pas manqué de me dire que son foyer n’était pas un hôtel et que je ne pouvais pas passer ma journée dehors pour rentrer y dormir le soir. Je suis donc rentrée chez mes parents à Tébessa où nous subissons ensemble la honte de mon divorce.»

Wiam Awres soulève de son côté le fait que certains foyers n’acceptent pas les femmes accompagnées de leurs enfants ou mettent une limite d’âge pour les enfants à charge.

Incapables de se séparer de leurs enfants, beaucoup de femmes en détresse rebroussent chemin.

Du harcèlement, au meurtre

Cette année, comme pour les années précédentes, la femme algérienne continue de faire face au harcèlement de rue au quotidien et systématiquement à chaque sortie.

Sur une vingtaine de jeunes femmes questionnées dans la rue, seules trois femmes considéraient ce harcèlement comme une forme de violence psychologique.

La majorité des jeunes femmes abordées ont même ri à cette question. « Tant qu’on ne me frappe pas ça va », « tant qu’il n’y a pas d’attouchements ça va ». « Ce ne sont que des paroles, ça ne va rien changer à ma vie »

Fortes de leur mental, ou ayant développé un mécanisme de défense insoupçonné, ces Algériennes, ont malgré elles banalisé une forme de violence contre les femmes, qui, au vu des graves agressions physiques enregistrées dans le pays, parait être la moins importante.

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Pourtant, c’est dans la rue et suite à un harcèlement de rue que Rym Anane a été brûlée pour avoir refusé les grossières avances de son voisin le 26 septembre 2022 à Tizi Ouzou.

Le même scenario avait été enregistré en janvier 2022 lorsque Hafida Mansouri, jeune infirmière trentenaire et candidate aux législatives, a été poignardée par son voisin en pleine rue pour avoir, elle aussi, refusé ses avances.

Violence vicariante contre les femmes

De nombreux épisodes de violence vicariante ont été enregistrés en Algérie, alors que ce terme reste quasi inexistant dans la sphère publique.

Dépeinte en justice ou dans la presse, comme étant une perte de contrôle suite à des comportements d’une extrême violence, elle trouve en réalité son origine dans les violences utilisées contre les femmes.

La violence vicariante qui est une violence par procuration. Elle est infligée à des enfants pour faire mal à leur mère. Quand l’agresseur n’a plus d’emprise sur elle, il décide de lui ôter ce qu’elle a de plus cher. Pouvant aller de la maltraitance extrême de l’enfant à l’infanticide. Elle est commise par le père sur ses propres enfants pour faire du mal à sa femme.

Comme nous l’a confié le Dr. Alia Mokhtari, psychiatre à l’établissement hospitalier spécialisé El-Razi à Annaba, « la majorité des enfants issus de foyers conflictuels feront face à bon nombres de traumatismes avant d’atteindre l’âge adulte. Ils sont les dommages collatéraux d’une relation malsaine »

Malheureusement, c’est avant d’atteindre l’âge adulte que certains de ces enfants se verront sacrifier sur l’autel des relations toxiques dont ils sont le fruit.

Fin août 2022, un père de famille tue sa femme et ses trois enfants à Annaba avant de tenter de se suicider. L’homme justifie son acte par les tensions intenables qu’il entretenait avec sa femme.

Fin novembre 2021, un père égorge sa fille de 5 ans en pleine rue pour punir son épouse qui avait décidé de le quitter en emmenant sa fille avec elle chez ses parents.

Violences obstétricales

Cette année, et pour la première fois en Algérie, nous avons assisté à la vulgarisation du concept de violences obstétricales.

C’est via les réseaux sociaux et en partie, grâce à une nouvelle tendance de comptes dédiés à la parentalité bienveillante et aux droits des mères et de leurs enfants à l’instar des comptes Instagram « Milk and cookie » ou encore « Maa mamola »,  que le principe de violences obstétricales s’est popularisé en Algérie. Loin d’être une généralité, ce type de violence est, cependant, ancré dans les pratiques obstétricales.

Dans un pays où plus de 50 % des femmes optent pour des césariennes de confort, sans réelle prescription médicale afin d’éviter le carnage de la salle d’accouchement, il est important de se pencher sur le sujet de plus près.

Le manque d’empathie et les violences verbales lors des accouchements sont le principal trait observable de cette violence. Pour pousser la mère à aller au bout du travail et rapidement, le personnel médical s’autorise très souvent des dérapages, et ce, dans les secteurs public ou privé.

Dans la pratique, on retrouve d’autres traits de violence obstétricale tout aussi fréquents, mais jamais dénoncés, compte tenu de l’absence totale de sensibilisation sur ce sujet.

Episiotomies injustifiées pour accélérer le travail, touchers vaginaux ou rectaux injustifiés, pratique de l’expression abdominale toujours pour l’accélération du travail (application d’une pression sur le fond de l’utérus avec l’intention spécifique de raccourcir la 2e phase de l’accouchement), omissions pouvant conduire à des complications. Autant de pratiques violentes, mais encore pratiquées par habitude et manque d’informations sur le sujet.

En bref, cette année aura été marquée par une prise de conscience relative à des types de violences aussi présents qu’insoupçonnés en Algérie. La libération de la parole continue quant à elle de s’étendre via les réseaux les plus actifs. Seule la loi reste inchangée malgré les revendications qui se précisent.

*Journaliste au quotidien régional Le Provincial

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