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La Révolution du 22 février 2019 : les leçons de la « Plate- Forme de la Soummam »

La Révolution du 22 février 2019 : les leçons de la « Plate- Forme de la Soummam »

L’historien ne peut rester indifférent devant ce tsunami engendré par le Hirak, devenu au fil des vendredis la Révolution du 22 février. Inconsciemment, il est comme par magie renvoyé à la Glorieuse Histoire de la Révolution algérienne.

Son aboutissement salutaire, elle le doit bien sûr aux sacrifices de son peuple mais surtout aux fins stratèges politique et militaire. D’aucuns peuvent se demander qu’y a-t-il de commun entre le 1er. Novembre 1954 et le 22 février 2019 ? Là, n’est pas mon propos. Ce qui importe, c’est de puiser dans ce fond historique intarissable que nous lègue novembre 1954, les leçons théoriques et pratiques que la Révolution du 22 février peut mettre à profit.

Structurer la Révolution

C’est dans le feu de l’action, qu’a mûrie la Révolution du 1er novembre. Les actions enclenchées dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, puis dans les jours, les semaines, les mois et les années qui suivirent, ne pouvaient avoir de sens, d’impact et de portée que si elles étaient structurées. Sans quoi, celles-ci étaient inéluctablement vouées à l’échec.

La Proclamation du 1er. Novembre, n’était pas une fin en soi. Le feu qui venait d’embraser l’Algérie coloniale courait deux risques majeurs. Être étouffé de l’extérieur par les forces ennemies ou se consumer lentement de l’intérieur. Le Congrès de la Soummam du 20 août 1956, restera dans les Annales de la Révolution Algérienne, la pierre angulaire de tout l’édifice révolutionnaire.

Ce Congrès a jeté « les premières assises de la jeune Révolution algérienne, en 1956. Un tel événement fondateur a imprimé à l’histoire de notre lutte, écrira Benyoucef Ben Khedda, un tournant majeur par la plate-forme qui en est issue, et qui trace les contours de l’édifice institutionnel de la Révolution ».

C’est l’ÉTAPE qui a propulsé la Révolution tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Si « La Révolution vient de passer avec honneur une première étape historique » (El Moudjahid, t.1. p.63 s.d. janvier-février 1957 ?), c’est parce que tout simplement, ses dirigeants avertis des menées ennemies et du danger qui guettait tout le processus révolutionnaire par manque de normalisation, avaient pris la décision d’asseoir la Révolution sur un solide socle théorique et la doter de mécanismes politico-militaire de régulation (CNRA, CCE en août 1956, puis GPRA le 19 septembre 1958). La Révolution fut, alors mise entre les mains du Peuple et sauvée du naufrage que lui prédisaient les Mitterrand, Soustelle, Guy Mollet, Lacoste, Massu et autres attardés de l’Histoire. De facto l’internationalisation de la « Question Algérienne » était chose acquise.

Une similitude cardinale

S’il y a une similitude entre la Révolution d’hier et celle d’aujourd’hui, c’est bien le rejet par les Algériens du statut d’indigène, de sujet puis de mineur et d’assisté qui leur a collé, jusque-là, à la peau. C’est cette hargne à s’assumer pleinement en se réappropriant leur bien inaliénable l’Algérie, qui a fait sortir le peuple solidaire, femmes et hommes, en décembre 1961 puis de nouveau, à cinquante-huit ans d’intervalle, en février 2019. Le contexte n’est évidemment pas le même mais la finalité n’a pas changée. « L’Algérie est notre bien », « Nous n’émigrons pas, nous restons chez nous pour bâtir notre pays » ont clamé les Vendredire. La Révolution du 1er. Novembre qui a été une source d’inspiration pour les peuples en lutte pour leur indépendance, doit aussi l’être pour les Hirakistes initiateurs de la Révolution du 22 février. Comme son aînée qui a forcé « l’admiration de l’opinion publique mondiale » (El Moudjahid, t.1, p.61), la Révolution en cours a rendu aux Algériens et à l’Algérie leur fierté, leur dignité et remis les pendules à l’heure.

Une Plate-forme de la Soummam pour la Révolution du 22 février

L’Algérie traverse un moment déterminant de son histoire contemporaine. Depuis un mois et demi les Algériens livrent, pacifiquement, un combat héroïque sans concession aucune. Les auteurs de cette Révolution, comme leurs aînés avant eux « ne reconnaissent pas les impératifs politiques du moment. Ils ne veulent pas entrer dans l’histoire à reculons ». Chaque vendredi apporte son lot de slogans, les uns plus radicaux que les autres. Toujours avec la même constance et la même détermination. Oui mais voilà, le temps est un allié très capricieux. Par sa nature même, il livre une lutte perpétuelle contre l’immobilisme, synonyme de la fin d’un moment, d’une phase, d’un règne ou d’une époque.

Esprit éclairé, pragmatique, ayant une juste vision du monde carcéral dans lequel le colonialisme français avait parqué les Algériens, le tandem Abane Ramdane – Mohammed Larbi Ben M’Hidi partageait la même perspicacité en matière de stratégie révolutionnaire. Ils avaient le même sens du facteur temps, de l’organisation et de la discipline révolutionnaire. Ils considéraient à juste titre que la Révolution ne pouvait être l’œuvre des quelques centaines de Moudjahidines qui avaient allumé la mèche. Elle sera l’œuvre de tous ses enfants ou ne le sera pas. C’est là que le slogan « Par le Peuple et pour le Peuple » prend tout son sens. La Révolution du 22 février qui a réconcilié le peuple algérien avec lui-même, avec son emblème national, ses hymnes et chants patriotiques Kassamen, Min Djibalina, Djazayrouna etc. ; mieux que ne l’aurait fait tout autre directive ; doit se doter impérativement de sa propre plate-forme révolutionnaire. Il est urgent que les Hirakistes quittent le terrain sismique du populisme qui a fait son temps. Cela ne veut nullement dire que la mobilisation doit cesser. Loin de là. Elle a besoin d’un puissant souffle régénérateur. Il est tout aussi urgent de se défaire de certains slogans qui desservent le mouvement. Après l’euphorie justifiée de la soirée du 2 avril, un bilan s’impose et des perspectives doivent être tracées et mises à exécution.

La leçon d’Histoire

Des femmes et des hommes courageux, à la manœuvre contre le « Système » depuis le funeste 4e mandat, structurés ou pas dans des partis politiques, des ONG alimentent au quotidien par leurs points de vue, déclarations et analyses le débat national. Ils sont d’un apport capital pour le Hirak et sa Révolution qu’il est urgent de mettre à l’abri des courants contre-révolutionnaires qui pointent à l’horizon. « L’heure est grave » avaient lancé les Pères du 1er. Novembre. Contre l’avis de certains de leurs frères de combat – et pas des moindres – le tandem Abane-Ben M’Hidi brisera avec témérité le plus dur des tabous. Le sectarisme. Hérité du mouvement national, le sectarisme minait dés à sa naissance la Révolution. Il risquait s’il n’était pas intelligemment circonscrit de la gangréner jusqu’à la mort. « Le ralliement des intellectuels à la patrie algérienne, …, la rupture avec les positions idéalistes, individualistes ou réformistes, sont les preuves d’une saine action politique » note un extrait de la Plate-forme du Congrès du 20 août 1956. Centralistes, ulémistes, abbassistes, y compris les communistes avaient été appelés à joindre leurs efforts au Front de Libération National. Les Européens d’origine algérienne de toutes origines et de toutes confessions, laïcs ou religieux, les juifs objets de « manœuvres les plus pernicieuses du colonialisme » (El Moudjahid, t.1, p.73), les Français de métropole, tous les hommes épris de liberté là où ils se trouvaient, étaient invités à renforcer les rangs des combattants algériens. C’est en élargissant sa base dans le strict respect de ses objectifs et orientations, que la Révolution du 1er. Novembre est sorti victorieuse de la très longue nuit coloniale.

À l’heure où la Révolution du 22 février se trouve à la croisée des chemins, il est utile qu’elle médite les leçons de la Révolution du 1er. Novembre. Elle ne fera que donner du sens et de la profondeur aux portraits d’Abane, Ben M’Hidi, Boudiaf, Aït Ahmed brandis chaque vendredi par les Hirakiste Révolutionnaires.


 

*Une contriburion de Mohammed Ould Si Kaddour EL-Korso, Historien

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