search-form-close
Les arts thérapeutiques au secours des enfants en situation de handicap

Les arts thérapeutiques au secours des enfants en situation de handicap

Djamel Merahi est un peu à l’image de l’association Cham’s, qu’il préside : très sollicité. Cela se voit tout de suite : son débit est rapide, on comprend vite qu’il a l’habitude de gérer plusieurs choses en même temps. Sur le chemin qui nous conduit à l’association, les coups de fils s’enchaînent pour régler les derniers détails techniques de la prochaine représentation de la chorale de l’association. « Tu t’en rendras rapidement compte, à Cham’s nous tournons toujours à plein régime ! ».

« Humanisation des soins »

Effectivement, l’association propose une large palette d’activités à ses adhérents. Sa plaquette de présentation indique qu’elle intervient auprès de « personnes en difficultés ». Cette dénomination recouvre une démarche singulière : l’organisme met en place des activités artistiques et éducatives à des fins thérapeutiques : théâtre, musicologie, arts plastiques notamment. L’idée est de proposer un espace de sociabilité où personnes présentant un handicap et personnes dites « valides » apprennent ensemble.

Tandis qu’il nous conduit vers l’association, M. Merahi nous explique : « Le problème majeur des personnes en situation de handicap, c’est l’exclusion : il leur est difficile d’intégrer une crèche ou une école, de pratiquer des activités physiques avec d’autres enfants, etc. Ce sont souvent des personnes exclues, voire cachées par leurs familles, qui les protègent des regards parfois hostiles de la société. Du coup, pour nous, la priorité n’est pas d’intervenir sur le plan de la rééducation orthophonique ou de la scolarisation, mais de travailler sur leur intégration sociale. Nous gageons que c’est par cette intégration que l’on peut ensuite intervenir sur leurs handicaps. De fait, les activités que nous proposons permettent d’engager un travail sur le développement psychomoteur, la stabilité, la concentration, la valorisation de soi ».

Créée en 2008, l’association fait suite à une expérience professionnelle inédite. « En 1997, une convention a été signée entre la Wilaya d’Alger et différents centres hospitalo-universitaires, pour la mise en place de loisirs éducatifs dans les services de pédiatrie. L’initiative comprenait le détachement d’une équipe pluridisciplinaire. En tant qu’éducateur spécialisé, je me suis donc retrouvé dans une équipe qui comprenait des psychologues et d’autres éducateurs. J’ai travaillé avec eux pendant dix ans. C’est là que j’ai pris conscience des réticences dont peuvent faire preuve certains membres du personnel. Je me souviens en particulier de ce jour où nous avons décidé de peindre certaines salles avec des couleurs, pour égayer un peu le terne ambiant. Ça a choqué des employés ! Nous avons également mis en place une réflexion autour de l’humanisation des soins, parce que l’enfant à l’hôpital est souvent considéré comme un objet qui appartient au personnel soignant.  En parallèle, nous avons initié l’école à l’hôpital, et une chorale polyphonique. On avait touché du doigt l’apport de ce genre d’activités sur l’état psychologique des patients. Si bien qu’un des responsables de services nous a dit un jour : ‘Vous nous avez mis en place une nouvelle pathologie, l’hospitalisme !’ Il parlait de ces enfants qui voulaient rester à l’hôpital. C’est là aussi que j’ai découvert la problématique du handicap. Les résultats étaient si probants qu’avec mes collègues, nous avons créé l’association Cham’s ».

Une première en Algérie

Il s’agit là de la première expérience en la matière en Algérie. Cette démarche innovante se heurte encore à des conceptions dépassées du handicap, défendues par des spécialistes de la santé mentale qui prônent des thérapies qui passent avant tout par des traitements médicamenteux. Une vision aux antipodes de la philosophie de l’association. On comprend alors mieux cette phrase qui figure sur leur plaquette de présentation : « Ensemble, osons les arts thérapeutiques ! ».

« L’association, qui compte environ trois-cent cinquante adhérents, est une société en miniature, nous explique M. Merahi, toutes les couches sociales y sont représentées. Par ailleurs, le public est très hétérogène. L’atelier musique, par exemple, compte des mères d’enfants en situation de handicap, leurs fratries, des collégiens, des lycéens, des universitaires, des cadres, des malades chroniques, des jeunes présentant une IMC (infirmité motrice cérébrale), des autistes, des trisomiques. Ce vivre-ensemble nous permet de concrétiser un autre de nos objectifs : changer le regard porté sur le handicap. Certains nouveaux adhérents étrangers à cette problématique s’étonnent des prouesses que l’on réalise tous ensemble ».

L’association attire nombre d’habitants du quartier qui souhaitent y inscrire leurs enfants. Il arrive alors que des parents repartent sur la pointe des pieds et s’éclipsent discrètement lorsqu’ils apprennent qu’ici, enfants handicapés et valides se côtoient. « Certains, par ignorance, craignent la contagion ou l’agressivité des enfants. À nous alors d’engager un travail de sensibilisation pour surmonter ces réticences ».

« Ici, nous sommes une famille ! », nous lance une des mères présentes. En effet, il est difficile de ne pas remarquer la complicité qui règne parmi les adhérents. Cette « intégration réussie », a d’ailleurs été récemment louée par une thérapeute psychiatre à l’un des responsables de l’association : « Chapeau bas pour le travail que vous effectuez. Je constate d’une façon très visible et nette la différence entre les autistes qui sont à Cham’s et ceux qui n’y sont pas ».

« La prise en charge psycho-pédagogique dans le public, c’est zéro ! »

Et l’intégration dans le système scolaire classique justement, qu’en est-il ? Nous en profitons pour questionner plusieurs mères présentes dans la salle. Il existe différents dispositifs mis en place par le ministère de la Solidarité et le ministère de l’Éducation pour scolariser les enfants qui présentent des handicaps. Toutefois, les parents que nous interrogeons sont assez critiques. Les difficultés auxquelles ils sont confrontés relèvent à la fois des préjugés dont font parfois preuve des membres du personnel de l’éducation nationale et des parents d’élèves, ou de dysfonctionnements structurels dans les programmes mis en place par l’éducation nationale.

Nadia nous explique que les difficultés commencent lors de l’inscription à la crèche : « J’en ai visité cinq avant que mon enfant ne soit accepté. Certains parents refusaient qu’il fréquente le leur !»

Wissem, elle, a été orientée vers une classe d’intégration, un dispositif mis en place par le ministère de la Solidarité en collaboration avec des associations, qui assurent notamment le contenu des enseignements dispensés aux enfants. Ces classes s’adressent à des enfants trisomiques ou présentant des déficiences sensorielles (sourds, muets ou aveugles), et sont situées dans des écoles publiques ordinaires. Wissem raconte : « Tous les jours, un orthophoniste intervenait le matin, et une éducatrice venait l’après-midi. C’était très bénéfique, mon enfant apprenait à mieux s’exprimer. Jusqu’au jour où il a été frappé par l’éducatrice. Il s’est alors renfermé, il ne voulait plus aller en cours. C’est grâce à ‘l’Association d’aide aux inadaptés’ que la situation s’est débloquée : j’y ai inscrit mon fils »

Assia confirme : « La prise en charge psycho-pédagogique dans le public, c’est zéro ! D’autre part, il faut savoir que pour les classes ordinaires, il n’est pas rare que des directeurs d’école demandent aux parents de payer un auxiliaire de vie, à 20.000 dinars voire plus par mois. Par ailleurs, le manque de personnel pour les classes intégrées est si élevé que trop peu de classes ouvrent leurs portes. Personnellement, lorsque ma fille a commencé à fréquenter l’école, j’étais au chômage, je ne pouvais pas me permettre de payer une auxiliaire pour une classe ordinaire. Quant aux ‘classes intégrées’, les délais d’attente étaient trop importants. Je sais que je dois la scolarisation de ma fille à une association gérée par des sœurs, qui l’a accueillie »

Des propos qui nous seront confirmés par une experte, qui souhaite garder l’anonymat : « De nombreux parents sont très réticents à l’idée que leurs enfants fréquentent des élèves qui présentent un handicap. Ils s’en plaignent directement aux directeurs d’écoles qui choisissent parfois de limiter les contacts au maximum. J’en ai moi-même été témoin ».

Les difficultés d’intégration sont, elles aussi, pointées du doigt : « Même dans le secteur associatif, peu de structures militent pour la mise en place d’établissements où la scolarisation serait inclusive, c’est-à-dire qui offrirait la possibilité à des enfants en situation de handicap d’effectuer leur cursus auprès de classes ordinaires. Les associations sont majoritairement convaincues que les enfants doivent rester dans des établissements spécialisés ».

Le succès de l’association Cham’s vient pourtant contredire ces pratiques caractérisées par l’absence de mixité. Sa chorale est d’ailleurs des plus sollicitée, les concerts et spectacles s’enchaînent. Le dernier en date, présenté lors de la clôture du Festival international de danse contemporaine d’Alger, a été ovationné par le public.

Cependant, dans le même temps, la pérennité de l’association est menacée : « Nous n’avons pas de toit. Nous sommes actuellement accueillis par une Maison de jeunes, et sommes dépendants de la disponibilité des salles. Cela se répercute sur le planning de nos activités. Par ailleurs, nous pourrions perdre ce lieu du jour au lendemain ! D’ailleurs, nous avons vécu ce scénario l’année dernière, nous avons dû stopper toutes nos activités pendant sept mois. Beaucoup d’enfants ont été extrêmement déstabilisés par cette rupture ».

  • Les derniers articles

close