search-form-close
« L’État ne gagne absolument rien en gérant les hôtels »

« L’État ne gagne absolument rien en gérant les hôtels »

Abdelhamid Madani, gérant de l’hôtel El Hidhab de Sétif, explique les conditions dans lesquelles s’est faite la privatisation de l’hôtel et détaille ses déboires avec l’État et avec la justice. Entretien.

Vous avez engagé le rachat de l’hôtel El Hidhab en 2006. Comment s’est déroulé l’opération surtout que c’était la première du genre en Algérie ?

El Hidhab a été mis en vente en 2006 sur une décision de l’État de privatiser certains hôtels pour les présenter comme exemple. Quatre hôtels ont ainsi été proposés à la privatisation (dont un à Oran et un autre à Collo). Nous avons soumissionné comme tout le monde. Idem pour deux autres privés et pour les employés de l’hôtel. Nous avons été retenus. Nous avons alors payé 30% du montant global de la transaction (65 milliards centimes), l’équivalent de deux millions d’euros d’aujourd’hui. L’État nous a accordé cinq ans de facilités de paiement avec la reprise de l’ensemble du personnel. L’esprit de la privatisation a été préservée puisque nous avons retenu 54 salariés sur une soixantaine. Certains étaient en limite d’âge et ont pris le retraite. Nous avions donc cinq ans pour payer le montant de la transaction. Nous avions un plan business de l’ordre de 8 milliards de centimes. C’était le minimum à l’époque. Nous devions maintenir l’activité et respecter l’échéancier de paiement, c’est-à-dire payer 11 milliards de centimes chaque année. Lors de la première échéance en 2007, nous avons versé 4 milliards de centimes avec la promesse de régler le reste (7 milliards de centimes) dans les plus brefs délais. L’EGT Est a refusé la proposition. Nous avons reçu un écrit en ce sens.

| LIRE AUSSITourisme et privatisations : le cri d’alarme du patron de l’hôtel El Hidhab

Pourquoi l’EGT Est a-t-elle refusé ?

Elle a exigé le versement des onze milliards en totalité. L’EGT Est était chargée par l’État de suivre l’évolution du contrat. Mais, elle ne l’a pas fait sur le terrain. Elle ne s’intéressait qu’aux côtés financiers. Dans la foulée, les recettes de l’hôtel El Hidhab chutaient après l’arrêt, sur notre décision, de la vente de la boisson alcoolisée. C’est en fait une décision de la famille.

Et que s’est-il passé après 2007 ?

L’EGT Est a déposé plainte en justice qui lui a donné raison. L’EGT Est a refusé le versement des 4 milliards de centimes et est allée directement à la justice sans chercher à me contacter, à trouver une solution ou à faire preuve de clémence. Elle m’a envoyé des mises en demeure alors que j’étais en Turquie à l’époque. Je souligne que le repreneur de l’hôtel Es-Salem de Skikda a réglé cash le rachat de l’hôtel mais a libré le personnel après l’avoir indemnisé. Le maintien des postes d’emploi est une exigence de la privatisation. Je sais que nous devons payer mais il faudrait comprendre aussi nos difficultés.

Avez-vous essayé de vous rapprocher de l’EGT Est ?

J’ai essayé à plusieurs reprises sans aucune réponse. Nous avons essayer de rencontrer les responsables de la holding public (Gestour, à l’époque). On nous a dit que l’affaire était en justice et qu’il fallait attendre. Personne n’a accepté à nous recevoir. Dans un mariage, il y a toujours des mécontents et des mésaventures. Il s’agit de la vente d’un hôtel, pas celle d’œufs dans un souk. Un hôtel qui s’étend sur plus d’un hectare et qui fait vivre une cinquantaine de familles. On ne peut pas du jour au lendemain annuler une décision de vente et saisir rapidement la justice en raison d’un retard de paiement. Le repreneur libanais de l’hôtel Ryad à Sidi Fredj (côte ouest d’Alger) a réglé le montant global du rachat. Malgré cela, la transaction d’achat a été annulée ( sur décision du Conseil de participation de l’État, CPE). Il a versé presque 12 millions de dollars pour acquérir l’hôtel. On lui a reproché de n’avoir pas engagé des investissements. Nous, de notre part, avons engagé des investissements et versé 70% du montant global de la transaction. En 2012, nous avons reçu une correspondance du directeur général du Trésor public nous demandant de nous acquitter de nos redevances après consultation de la SGP Gestour.

Et vous avez payé ?

Oui. Nous avons versé 20 milliards de centimes, presque 40% du montant global, dans le compte de la privatisation. En tout, cela faisait 70%. Nous avons envoyé les documents prouvant le versement de la somme à l’EGT Est. Dès réception du courrier, elle a sollicité une nouvelle fois la justice pour ne pas « reconnaître » la somme après la décision du tribunal sur l’annulation de la transaction. L’argent est aujourd’hui bloqué au niveau du Trésor. Nous l’avons ni cherché ni récupéré avec l’espoir de trouver une solution. L’EGT Est ne veut pas que la vente se fasse. Elle est contre la vente.

Pourquoi ?

Parce que les gestionnaires du secteur public ont des intérêts personnels à préserver. L’État ne gagne absolument rien en gérant les hôtels. Les gestionnaires des entreprises publiques profitent eux et leurs familles des infrastructures, se prennent les meilleurs chambres en été dans les hôtels balnéaires, et les mieux placés en hiver dans les stations thermales. Ce que je sais est que des suites sont bloquées à l’année à Hammam Meskhoutine (Guelma) pour les dirigeants des entreprises publiques touristiques. Personne ne se soucie de cette situation. Il faut qu’on s’intéresse aussi à l’histoire de la réhabilitation des hôtels étatiques. Le Trésor public a financé ces opérations.

Pensez-vous que les montants dégagés pour ces opérations étaient exagérés ?

Oui, exagérés. C’est parfois trois fois le prix réel. Il faudrait qu’on ouvre des enquêtes, étudier les hôtels cas par cas. Je cite les hôtels Cirta et Panoramic de Constantine. Une somme de 1000 milliards de centimes a été dégagée pour la réhabilitation de ces deux établissements (Panoramic est toujours fermé et la rénovation de Cirta n’est pas achevée). Même somme pour l’hôtel de Guergour. Ce n’est pas un problème de dalle de sol ou de couvre matelas. C’est un mode de gestion qu’il faut totalement abandonner et le remplacer par un autre. Il y a des directions nationales, régionales, commerciales, sous-direction et des structures qui consomment beaucoup d’argent. Les sureffectifs avalent tous les bénéfices…

Quand vous êtes arrivés à l’hôtel El Hidhab, comment avez-vous trouvé les lieux ?

Catastrophique ! C’était tout sauf un hôtel. Il n’y a qu’à lire les cahiers de doléances de l’époque. Je ne vous dis pas qu’aujourd’hui, c’est le bonheur, mais nous arrivons à satisfaire une partie de notre clientèle. Avant, les clients jetaient les clefs à la réception avant de partir pour marquer leur mécontentement. Les chambres étaient abandonnées avec un système archaïque. Les draps n’étaient pas changés. Les couvertures étaient les mêmes que celles utilisées dans les hôpitaux ! La gouvernante était tout le temps absente. Les cafards étaient partout sous la moquette… Malgré cette situation, El Hidhab faisait entrer plus d’argent que le complexe, les Hammadites, de Béjaïa ou Bougaroun de Collo. Des hôtels balnéaires qui ne fonctionnent qu’en été.

Pouvez-vous nous parler des investissements que vous avez engagés au niveau de l’hôtel El Hidhab ?

Au début, mes frères m’ont conseillé de ne rien engager comme investissements en raison de l’existence de la décision de justice qui pouvait être exécutée. Dès la réception de la correspondance du directeur général du Trésor public en 2012, j’ai commencé à investir doucement. J’avoue que j’ai été humilié le jour où nous avons reçu des hommes d’affaires allemands, invités par la Chambre de commerce de Sétif, qui ont refusé de passer la nuit à l’hôtel. Ce jour là, j’ai décidé d’entamer les travaux de rénovation en commençant par le hall, la réception et une trentaine de chambres. La réhabilitation des chambres n’est pas encore achevée. Nous ne pouvons pas fermer l’hôtel en poursuivant les travaux en même temps. Sinon, on sera obligé de demander un crédit bancaire en s’engageant dans un labyrinthe. Ces trois dernières années, le marché de l’hôtellerie a changé au niveau de Sétif.

Comment justement expliquer le grand intérêt pour l’hôtellerie à Sétif ?

Il faut dire que c’est une bonne chose pour la ville de Sétif. Aujourd’hui, le client a un grand choix. Nous entrons dans le cycle de concurrence. Nous devons proposer autre chose que la simple nuitée. Il faut l’accompagner par de nouvelles activités. Nous nous sommes préparés pour cela en construisant un terrain de football. Nous recevons des équipes de la première et de la deuxième division lors du début de saison pour les préparations. Nous avons, par exemple, reçu le CS Constantine, MC Oran, Relizane, NA Hussein Dey, Skikda et le MO Béjaia…Nous avons construit un SPA, un bain turc, une salle de sport, une piscine couverte. Tout pour le bien être du client. Nous allons renouveler la salle des fêtes puisqu’elle n’est plus rentable. À un moment donné, elle était la première à Sétif. Là, il n’y a presque plus de demandes puisqu’elle ne correspond plus aux exigences des clients.

Allez-vous continuer à investir alors que votre situation d’acquéreur n’est pas encore claire ?

Chaque chose a ses limites. La vente d’El Hidhab a été annulée au niveau du CPE quelque temps avant le départ d’Abdelmalek Sellal de son poste de Premier ministre. Une décision a été prise également à l’encontre d’un hôtel à Oran. Le repreneur a demandé à l’État de récupérer son bien. J’ai reçu des cadres de l’EGT Est qui m’ont confié qu’ils allaient dire au PDG de changer d’avis parce qu’ils avaient constaté sur le terrain les changements introduits au niveau de l’hôtel. Nous avons reçu une correspondance nous disant que « dans le cadre de la préparation d’une réunion d’évaluation de l’opération de privatisation, l’État vous demande le bilan des trois dernières années, l’effectif, le business plan ». Il nous a été demandé d’expliquer ce qui n’a pas marché dans la privatisation. C’est cet État que nous cherchons. Je le dis ouvertement : C’est Nouri Abdelwahab (ex-ministre du Tousime et ancien wali de Sétif) qui me pourchasse. J’ai dû quitté le pays à cause de lui. Il voulait me réduire à l’état de pauvreté.

Pour quelle raison ? 

C’est une revanche personnelle. Je l’ai rencontré une seule fois pendant dix minutes à Hammam Ouled Yelles (station thermale) que je gérais. En 2000, j’avais reçu Karim Younes, alors ministre de la Formation professionnelle (entre 1997 et 2002). Nouri voulait montrer sa puissance. Il s’est attaqué à moi et a tout fait pour fermer le bain de Ouled Yelles en annulant la concession que j’avais. L’argument avancé était ridicule : « flaques d’eau pouvant provoquer des maladies ». Il est dommage que l’État fasse confiance à des responsables comme lui. J’ai investi plus de 3 milliards de centimes dans cette station. Je n’ai même pas pu récupérer mes effets personnels lors de la fermeture. Nouri m’a pourchassé ensuite pour me déposséder du terrain que j’avais, là où se trouve actuellement le centre commercial Park Mall. Ce projet était mon idée. Je l’ai proposé à l’APC qui l’a accepté. Mes bus étaient parqués dans cet endroit lorsque j’activais avec l’agence Pacha Tour. En 1998, l’APC m’a vendu ce terrain pour 2,5 milliards de centimes. Mais, la transaction n’a pas été achevée. Je n’ai pas voulu continuer l’achat du terrain. Il y avait un problème de corruption qui s’est posé. J’ai refusé de donner de l’argent.

À qui ?

À un wali. Il m’a demandé 500 millions de centimes. L’affaire du Park Mall est en justice actuellement. J’ai déposé plainte contre la wilaya, pas contre l’actuel propriétaire du centre commercial. Je conteste l’annulation de la délibération par le wali au bout d’une année alors qu’elle doit se faire dans quinze, vingt jours. Il a annulé la délibération parce que je ne lui ai pas donné de l’argent.

Les pressions que vous subissez sont-elles liées à des positions politiques précédentes ?

Moi, je pense que c’est surtout la méchanceté. J’ai des idées politiques mais je n’ai pas de parti. Aujourd’hui, je me vois capable d’apporter quelque chose dans les domaines du tourisme et de la petite et moyenne industrie. J’ai investi en Turquie malgré des débuts difficiles. J’ai une unité de production de cirage et de cosmétiques. Mes enfants s’en occupent. Je suis revenu en Algérie pour m’occuper de l’hôtel El Hidhab. Si demain l’hôtel ferme, je retourne en Turquie. J’ai peur de ne plus rien donner à ce pays, autant que ce pays n’a rien à me donner. En 1994, j’ai ramené un avion avec des touristes à bord de Turkih Airlines que j’ai affrété. L’avion a été bloqué par un camion de Naftal en plein piste ! Depuis, ils ont fermé hammam Ouled Yelles et le centre de vacances Pacha tour de Souk Lethnin (Béjaia). J’ai investi dans ce centre sur quatre hectares. Les ministres Bensalem et Bengrina (Tourisme) nous ont visité. Le centre était un plus pour le tourisme algérien. Je voulais aller vers l’investissement lourd pour en finir avec les campings de toile. Ils ont fermé le centre en 2000. Nouri est derrière cette décision. J’ai aussi été expulsé de Hammam El Biban, une autre station thermale, en 1999 (Hammam El Biban est situé dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj, après El Mansourah).

Pourquoi ?

J’ai géré Hammam El Biban pendant six mois. À cause d’un comportement inacceptable d’un ancien maire de Mehir, devenu plus tard sénateur. Il voulait qu’on lui donne quotidiennement 10.000 dinars. J’ai décidé alors de déposer plainte. À partir de là, ils ont pris la décision de m’expulser sans aucun argument valable. L’exécution s’est faite en présence de la garde communale un quart d’heure après le jugement. La procédure légale a été violée. Ce que nous avons vécu est pire de ce qu’a vécu Rebrab.

Que comptez-vous faire si les choses ne changent pas ?

C’est mon dernier rempart. S’il y aura quelque chose de positif, je vais même reprendre mon grand projet touristique de la plage rouge (Jijel). Un projet qui n’a jamais été réalisé en Algérie.

Vous n’êtes pas découragés ?

Nous gardons espoir. Nous avons investi, c’est notre pays. Nous n’avons pas de pays de rechange. Nous souhaitons que l’opération privatisation continue avec le soutien de la presse et des hommes honnêtes de ce pays. Les responsables de l’État peuvent nous trouver un mécanisme pour que la reprise d’El Hidhab aille jusqu’au bout. Nous payerons ce qui reste et continuerons l’investissement. Je vous promets que l’hôtel El Hidhab sera une destination privilégiée pour les touristes algériens et étrangers.

Vous dites que l’État ne doit plus gérer les hôtels. Pourquoi ?

Parce que l’État ne bénéficie de rien. Quand le client n’est pas satisfait des prestations d’un hôtel public, il insulte l’État. Il y a aujourd’hui des situations rentières, on partage parfois les bénéfices, on distribue des repas gratuitement, on offre des chambres sans payement. Pour ceux qui sont dans le secteur public, il s’agit d’acquis. Ils ne veulent pas que ces acquis soient remis en cause. Si vous rentrez dedans, ils vous broient.

  • Les derniers articles

close