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Lettre à Monsieur le président

Lettre à Monsieur le président

CONTRIBUTION. Merci, Monsieur le président, d’avoir répondu à votre peuple par le biais de porte-plumes tapis dans l’ombre qui vous imputent de présumées lettres et ce, depuis l’année 2013. Franchement, votre peuple, le nôtre, n’espérait pas recevoir cette énième correspondance qui a conforté son opinion sur vous et sur le pouvoir que vous exercez, en toute quiétude, plutôt en toute immunité, faudrait-il le préciser.

Quant à moi, simple habitant de ce pays – parce que le pouvoir dont vous êtes à la tête m’a ravi ma citoyenneté par les comportements arrogants de ses tenants – je vais, une nouvelle fois, sortir de mes gonds et réitéré ma position, sans réserve, celle adoptée depuis le 9 avril 2009, en me situant contre votre 3e et ensuite votre 4e mandat.

Monsieur le président, j’ai appris en faisant mes humanités, en quelque sorte mes Belles Lettres arabes, cette magnifique expression, Dar Loqmane ‘alahaliha, qui veut tout dire, sinon l’essentiel, si je dois l’adapter à votre lettre lue, le lundi 11 mars 2019, date du calendrier grégorien, donc de l’Histoire. Oui, Dar Loqmane ‘alahaliha , non seulement elle n’a pas changé d’un iota, si l’on se réfère à la traduction littérale dans la langue d’El Moutanabbi, mais en reprenant l’expression légendaire du «précipice» de mon maître spirituel Kaïd Ahmed qui signifie, dans son interprétation politique, que vos nouvelles décisions nous font faire «un pas en avant», c’est-à-dire nous conduire dans une phase de délabrement et d’incertitude, plus prononcée. Voici donc, l’explication qu’on peut donner à vos dernières décisions par lesquelles le pouvoir – le vôtre – a été contraint de répondre au mouvement populaire qui a mobilisé tout le pays, dans le calme et la discipline, depuis le 22 février passé.

Vous avez répondu comme De Gaulle, «Je vous ai compris !», cette phrase-clé de son discours du 4 juin 1958 à Alger, depuis le balcon du Palais du Gouvernement général, devant une foule réunie sur la place du Forum, aujourd’hui l’Esplanade de l’Afrique, une foule de pieds-noirs qui réclamait la radicalisation de la position française vis-à-vis des colonisés que nous étions… Évidemment, le fond et le contexte ne sont pas les mêmes – pas du tout, afin qu’il n’y ait pas d’amalgame –, mais votre réponse fort alambiquée et compliquée, à la fois, est assassine à plus d’un titre. Vous nous avez fait savoir que vous êtes là, et que vous tenez à y rester d’où l’expression éloquente : J’y suis, j’y reste ! ou Ahna Ymout Kaci ou prosaïquement encore, Dezzou ma3houm !

Monsieur le président, je sais que vous n’avez pas écrit ces différentes lettres adressées au peuple algérien, subissant depuis 2013, comme tout bon croyant, une dure épreuve divine. Et, ce sont ceux qui s’expriment en votre nom et place, ces auteurs présumés qui nous imposent vos soi-disant instructions, orientations, nominations, enfin toute cette panoplie de textes et de décisions qui, au lieu de faire évoluer les idées et les programmes, ont réussi le tour de force d’une stérilisation presque complète du champ politique dans notre pays. Mais, faisons comme si de rien n’était.

Ainsi, après vos décisions du 11 mars passé, je peux conclure qu’il n’est pas difficile de saisir les intentions d’un pouvoir autiste comme le nôtre, et il serait même puéril d’aller vite en besogne, comme certains l’ont fait, juste après la fatidique annonce, je l’appellerai ainsi, celle de Fakhamatouhou, la vôtre, et croire que vous faisiez amende honorable en abdiquant devant les clameurs du peuple, de tout le peuple de l’est à l’ouest et du nord au sud, suite aux manifestations grandioses enregistrées dans tous les coins et recoins de notre vaste pays.

Que nenni ! Car, selon vos décisions du 11 mars, ces masses humaines qui ont manifesté, de jour et de nuit, et qui ne cesseront de manifester encore leur désapprobation et leur rejet du système, leur réaction forte et déterminée ayant donné la frousse à plus d’un, parmi les «responsables» qui vous entourent, sans réussir, pour l’instant, à ébranler leur entêtement. Celui du déni de la réalité et de l’assurance qu’ils sont dans le droit chemin, le peuple étant manipulé par des agitateurs qui visent à déstabiliser le pays.

Proférer comme cela, de «grands mots», inconsciemment, veut dire que ces responsables qui vous enferment, au point de vous étouffer, perdent le contrôle et oublient que ce peuple est la source de tout pouvoir. Mais, s’agissant de pouvoir, le vôtre, doit-on comprendre qu’il est à l’image de ces pouvoirs dictatoriaux qui, à l’approche de leur fin, sèment les graines de leur extermination ? C’est peut-être cela, puisqu’ils sont loin d’avoir cette intelligence pour comprendre qu’ils sont condamnés à partir, inévitablement, en raison d’innombrables ratages, facteurs déclencheurs de mouvements de masses. Oui, condamné, est notre système parce qu’il n’a plus beaucoup de choix…, les revendications des manifestants ayant dépassé de loin la seule affaire du cinquième mandat. Les Algériens réclament l’éradication du «système» dans sa globalité et son démantèlement tant sur les plans politique qu’économique» (1)

Mais votre pouvoir Monsieur le Président, nombriliste qu’il est, utilise la ruse, la pression et la menace, tout en oubliant que la rue gronde et crache son rejet d’un système finissant, et a décidé de trancher, pour la première fois … Et elle tranchera «parce que ce peuple qui marche aujourd’hui pour sa dignité n’a plus que faire de la vulgate de la légitimité révolutionnaire, ni de celle qui agite la menace de l’épouvantail terrorisme-islamisme. Les deux piliers sur lesquels le pouvoir s’est appuyé jusqu’à l’usure, pour pérenniser sa mainmise totale sur le pays.» (2)

Pour cela, je reprends quelques déclarations de «hauts dirigeants» du pays dont les propos choquants, voire menaçants, proclament avec l’aisance des vainqueurs : Bouteflika ou le chaos ! Parlons de ce spectre – le chaos – qu’on exhibe à tout propos… Il n’y a pas d’alternatives, selon eux, brandissant ainsi à dessein, l’épouvantail de la peur, du terrorisme et du désordre pour dissuader les Algériens qui manifestent pacifiquement, contre leurs turpitudes, leur système et le régime en place.

L’ex-Premier ministre, dans sa logique «illogique», répétait à qui voulait l’entendre, que «les marches en Syrie ont commencé par des fleurs et se sont terminées par le sang. Nous ne voulons pas le chaos dans notre pays». Mais, mesurait-il son excès de langage – et je suis poli – dans sa comparaison inopportune et, de surcroît … antinomique, entre ce qu’il s’est passé en Syrie et ce qui se passe chez nous en Algérie ? Je suis bien placé pour lui expliquer le problème syrien…

Si changement doit avoir lieu, il ne sera jamais contre moi, mais par moi…». Cela vous ressemble parfaitement, fidèle à votre image de président d’une république dévoyée…, fascinée par le modèle césarien, transformée depuis, sous nos yeux effrayés, en pouvoir de Néron. Vos dernières décisions, sont nulles et non avenues, elles transgressent toutes les lois du pays et constituent une violation flagrante de la Constitution, de surcroît, votre Constitution, maintes fois triturée au gré de vos caprices. Il ne vous vient pas à l’esprit que vos manigances pourraient conduire le pays vers les abysses voire le néant.

Vous n’avez pas agi en véritable homme politique qui pose un regard lucide sur son parcours, en vue de tirer les conséquences, toutes les conséquences. Vous préférez la posture la plus commode pour vous, le déni, la fuite en avant. D’autres que vous, auraient démissionné dans pareille situation et cela depuis bien longtemps déjà. Vous, par contre – en reportant les présidentielles sans briguer un 5e mandat, tout en demeurant aux commandes – offrez votre dernière forfaiture d’une longue liste, en guise de réponse aux sollicitations de tout un peuple. Ce peuple que vous considérez comme une abstraction, une vue de l’esprit, voire une quantité nulle et négligeable.

Sans partage et le maintien à tout prix, jusqu’à la fin des temps. N’est-ce pas du mépris, de l’inconscience, après le spectacle pitoyable de «statues déboulonnées» ? (3) Le système dans son ensemble, n’a-t-il pas compris le message de Khenchela, une démonstration éclatante de la fureur d’un peuple écorché et violenté par des apprentis sorciers fabriqués dans le moule du système ? Votre poster géant, Monsieur le Président – et je suis désolé de vous le rappeler – a été arraché et piétiné, comme ce poster affiché près de la Grande poste d’Alger, le 22 février. Deux images fortes, pour ceux qui veulent les traduire, qui annoncent clairement, sans ambiguïté, le départ souhaité d’un président et la fin d’un système.

Ainsi, les «bien-pensants» du régime qui, en fait commandent à votre place, dans cet immense vide politique créé durant des lustres, aggravé par votre absence depuis quelques années déjà, ont concocté, dans l’urgence et la précipitation, des «propositions-promesses» de sortie de crise pour la prochaine étape, qui devrait débuter avec la reconduction d’un président virtuel, pour une nouvelle période incertaine. Votre, ou leur fuite en avant, Monsieur le Président, est patente au point où vos serviteurs zélés ne prennent même pas la peine de réfléchir sérieusement à l’impasse historique d’un système, en bout de course, qui se perpétue par la forfaiture et la trahison des idéaux de Novembre.

En fait, les propositions annoncées dans la panique et l’urgence ne sont qu’une maladroite tentative d’apaisement que le pouvoir en perdition tente de vendre au peuple algérien, pour gagner du temps dans le but d’un redéploiement et d’une reprise en main de la situation.

Et là, enfin, Monsieur le Président, le sage vous rétorquera, ainsi qu’à ceux-là mêmes qui squattent en votre nom ce pouvoir, effrontément, impunément : « De quelle tentative d’apaisement parlez-vous messieurs de la haute voltige ? », maintenant qu’il y a un baisser de rideau, la commedia dell’ arte étant terminée et bien terminée. La messe est dite et le fard dégoulinant des joues exsangues des Arlequins, écrira leur obscure histoire faite de dénis et d’impostures.


NOTES :

(1) Omar Aktouf, professeur en management à HEC Montréal

(2) Ibidem.

(3) « Statues déboulonnées », c’était lors de changements de régimes politiques dans de nombreux pays, notamment dans les ex. Républiques de pays socialistes de l’Europe de l’Est et dans le monde arabe.

*Auteur

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