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Lyes Merabet : « Ce qu’a enduré Dr Boudissa, beaucoup le subissent dans le secteur de la santé »

Lyes Merabet : « Ce qu’a enduré Dr Boudissa, beaucoup le subissent dans le secteur de la santé »

Dr Lyes Merabet, revient sur le décès du Dr Boudissa, la protection du personnel de santé contre le coronavirus et évoque le bilan du confinement. Entretien.

Une femme-médecin est décédée du Covid-19. Elle était obligée de travailler alors qu’elle était enceinte. Qu’avez-vous à dire sur ce drame ?

Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) : Nous présentons nos condoléances à la famille du Dr Boudissa Wafa ainsi qu’à toute la famille médicale. On pouvait éviter une telle situation. Depuis le début de l’épidémie, le SNPSP a soulevé la question des employées du secteur de la santé enceintes. C’est dans les correspondances du syndicat et le communiqué rendu public en mars. C’était immédiatement après la promulgation du décret exécutif, prévoyant entre autres la mise en congé exceptionnelle des travailleurs et travailleuses dans différents secteurs publics, dont les femmes enceintes. Certains secteurs, dont celui de la santé, ont été exclus de cette disposition en vertu de l’article 7 du décret, mais le même article laisse aux directeurs des établissements la liberté de décider concernant les cas exceptionnels. Dans notre lettre au ministre en date du 21 mars, nous avons demandé la mise en congé des femmes médecins enceintes et de tous les fonctionnaires atteints de maladies chroniques, mais nous n’avons pas reçu de réponse.

Le 26 mars, le ministre Abderrahmane Benbouzid nous a conviés, ainsi que d’autres syndicats du secteur, à une réunion pour discuter de la situation du secteur de la santé. Nous étions les seuls à soulever la question des femmes enceintes. Nous avons rappelé au ministre la nécessité de les mettre en congé, comme cela avait été fait dans les autres secteurs. Car il n’est pas normal de mettre en congé des femmes travaillant dans des secteurs où il y a moins de risques, et laisser les travailleuses de la santé (médecins, infirmières, agents d’entretien…) face au danger dans les hôpitaux. C’est inacceptable. Nous avons rappelé qu’on pouvait recourir au règlement en vigueur pour cette catégorie qui exempte les femmes d’assurer des permanences ou de travailler aux urgences dès leur septième mois de grossesse. Le ministre a promis d’étudier la question, mais il n’y pas eu de suite. Un mois après, le 26 avril, le ministère a émis la circulaire numéro 18 relative à la protection des personnels de santé. Il y est stipulé qu’à partir de la 28e semaine de grossesse, la femme peut demander son transfert du service de lutte contre la pandémie vers un autre service. Mais cela ne pouvait pas être la solution. Je trouve inacceptable que la femme enceinte reste en contact avec les malades du Covid-19 pendant sept mois. Surtout que, après cette période, elle a seulement le droit de changer de service, pas de prendre un congé.

Les personnels de la santé vivent donc une énorme pression du fait de l’absence d’un cadre juridique qui les protège ?

Depuis le début de l’épidémie, beaucoup vivent la même situation que la femme médecin décédée. Nous avons dénoncé la situation et nous avons saisi le ministre pour qu’il se penche sur la question. Concernant la responsabilité dans ce drame, elle est partagée, du ministère de la Santé jusqu’à l’établissement hospitalier de Bordj Bou Aréridj.

Car c’est l’absence d’un cadre juridique qui a laissé le directeur de l’établissement prendre des décisions arbitraires à l’encontre de la défunte. Nous appelons le ministre à effectuer une enquête profonde pour situer les responsabilités et sanctionner ceux qui ont causé le drame, en plus des poursuites judiciaires à l’encontre des responsables.

Le limogeage du directeur de l’hôpital est-il suffisant ?

Le limogeage du directeur était nécessaire pour calmer les choses. Mais il faudra prendre d’autres mesures, comme les poursuites judiciaires car il s’agit du décès d’une femme et de son fœtus, laissant une fille orpheline.

Nous insistons néanmoins sur le fait que le ministère doit mettre un en place un cadre juridique qui protège les personnels de la santé. Son rôle est avant tout de protéger les personnels en matière sanitaire ou juridique et de leur assurer les meilleures conditions de travail. Le ministère est là pour accompagner les fonctionnaires non pour exercer sur eux des pressions, notamment pendant cette période exceptionnelle que nous vivons. Les gens subissent une grande pression, certains n’ont pas vu leurs familles depuis avant le ramadhan. On ne peut en plus leur infliger de telles pratiques.

Quel est le nombre des victimes de l’épidémie dans le secteur ?

D’après le décompte du syndicat, il y a jusqu’à aujourd’hui 23 décès dans le secteur de la santé, tous corps confondus (médecins, infirmier, laborantins, paramédicaux, chauffeurs…).

Comment évaluez-vous les mesures prises par le gouvernement pour faire face à l’épidémie. Au niveau des hôpitaux, avez-vous senti les retombées positives du confinement ?

Je pense qu’il y a une certaine confusion dans la gestion de ce plan d’urgence. Nous avons échoué dans l’application de plusieurs mesures et jusqu’à aujourd’hui, nous ne sommes pas en confinement total ni partiel. Ce que, en tant que professionnels, nous n’arrivons pas à comprendre. Nous observons dans toutes les wilayas la même image qui reflète le non-respect du confinement par les citoyens, et l’hésitation à prendre de nombreuses mesures. En plus, il faut dire que les conditions de la réussite du confinement ne sont pas réunies. Certaines activités sont suspendues alors que les gens continuent à les exercer. Les citoyens ne se conforment pas aux mesures et nous assistons à une recrudescence quotidienne du nombre de contaminations, jusqu’à dépasser en quelques jours, depuis le début du ramadhan, les 7 000 cas. Cela, sans compter les malades sous traitement et qui sont au nombre de plus de 11 000.

Le comité scientifique a demandé l’imposition d’un confinement total pendant les deux jours de l’Aïd, mais sa proposition n’a pas été retenue. Cette mesure est-elle nécessaire ?

Oui, une telle mesure est nécessaire. Nous nous attendions à ce qu’elle soit prise lors de la réunion du Haut conseil de sécurité dimanche dernier, mais cela n’a pas été le cas, bien que le ministre ait fait la proposition sur recommandation de la commission d’experts. Ce que, en tant que syndicalistes et professionnels, nous ne comprenons pas. Nous espérons qu’un confinement total soit décrété pendant les deux jours de l’Aïd, avec des campagnes de sensibilisation pour inviter les gens à éviter les visites familiales, que nous considérons comme un facteur qui favorise la propagation de l’épidémie.

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