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Maroc : la descente aux enfers continue pour le secteur agricole

Maroc : la descente aux enfers continue pour le secteur agricole

Par Phil_Good / Adobe Stock
Plaines de Fès au Maroc

Au Maroc, le secteur de l’agriculture, pilier de l’économie du royaume, patauge dans une grande crise.

Voici trois points pour la comprendre : une stratégie agricole contestée, la sécheresse et un aveuglement des autorités qui maintiennent un modèle tourné vers l’export, mais trop consommateur d’eau.

C’est notamment le cas des céréales avec une récolte de 25 millions de quintaux soit l’un des pires résultats enregistrés au Maroc.

Selon le Haut-Commissariat marocain au Plan, cette crise qui affecte l’agriculture marocaine s’est traduite par la perte de plus de 300.000 emplois agricoles en 2023.

En plus des pertes d’emploi, la crise du secteur agricole, qui poursuit sa descente aux enfers, a provoqué une hausse importante des prix de nombreux produits comme l’huile d’olive, le poulet, la viande rouge, etc.

1- Sécheresse endémique

Dans le contexte, le ministre marocain de l’Agriculture Mohamed Sadiki a été promu Commandeur dans l’Ordre du Mérite agricole français.

Cette distinction a été décernée en juillet 2024 par l’Académie Agricole de France. Outre Mohamed Sadiki, d’éminentes personnalités françaises du monde agricole, ont été décorées pour l’action positive qu’elles ont menée dans leur domaine de compétence respectif.

La crise que connaît actuellement l’agriculture au Maroc se développe dans un contexte marqué par six années de sécheresse. Selon les autorités marocaines, le royaume a connu de 2019 à 2022, sa période la plus sèche depuis les années 1960. La situation ne s’est pas améliorée en 2023 et en 2024, marquées par le manque de pluies. Résultat : des barrages vides avec un taux de remplissage de seulement 27,7 % fin août, et des nappes phréatiques dont le niveau a baissé drastiquement.

Cependant, des spécialistes marocains et étrangers font remarquer que la politique agricole défendue depuis 2021 par l’actuel ministère marocain de l’Agriculture a grandement amplifié les effets de la sécheresse qui frappe de plein fouet le Maroc depuis des années. Cette politique a un nom : Génération Green 2020-2030, qui a succédé au Plan Maroc Vert (PMV) de 2008.

Le PMV a été concocté par le cabinet d’études international McKinsey à la demande d’Aziz Akhannouch, un riche homme d’affaires, alors ministre de l’Agriculture et qui a été nommé chef du gouvernement en septembre 2021.

L’ambition non avouée de ce programme pluriannuel est de dépasser l’Espagne dans son rôle de garde-manger de l’Europe. Dans cette optique, les agriculteurs marocains ont reçu de nombreuses subventions pour développer l’irrigation des cultures de fruits et légumes destinés à l’exportation.

2- Maroc : une stratégie agricole contestée

Dès 2012, à l’occasion d’une étude détaillée, l’agroéconomiste marocain Najib Akesbi s’inquiétait du « caractère ultra-productiviste du modèle agricole véhiculé par ce plan, dangereux pour l’environnement et les ressources naturelles » et notamment concernant les nappes d’eau souterraines.

Mohamed Sadiki, ancien directeur de l’institut agro-vétérinaire (IAV) de Rabat devenu en 2013 le secrétaire général du ministère de l’Agriculture, est un fervent défenseur du PMV dont il a accompagné son développement.

À chaque fois, il a balayé les critiques d’un revers de main indiquant que les allégations erronées qu’on entend sur le PMV sont le fait d’une « méconnaissance de la réalité du terrain » ou encore « le fruit de généralisation des situations du passé ou de schémas mentaux vécus il y a longtemps » rapportait en 2021 le mensuel français Afrique Agriculture.

En mars 2020, Najib Akesbi alertait dans la presse marocaine : « Incontestablement des cultures se sont développées… mais le problème des politiques agricoles est qu’elles sont très focalisées sur l’export au détriment de la consommation locale notamment le blé ou encore l’huile de graine importée à hauteur de 98 %, ce qui accentue la dépendance aux marchés extérieurs ».

Mais rien n’y fait. En juin dernier, en pleine pénurie d’eau, des médias marocains titraient : « Le Maroc domine le marché européen, l’Espagne à la traîne » et expliquaient : « Alors que les exportations de pastèques du Maroc vers l’UE ont doublé au cours des cinq dernières années, celles de l’Espagne ont chuté de près de 20 %».

Quant aux exportations de tomates vers la France, elles ont augmenté en 2022 de 19 % sur un an avec 425 552 tonnes. Elles représentent 63 % des tomates importées en France. Problème pour le Maroc ; exporter des produits agricoles, c’est exporter de l’eau.

Ces dernières années, les critiques n’ont cessé de pleuvoir. Mohamed Tahar Sraïri, enseignant chercheur à l’IAV de Rabat, celui même qu’a dirigé Mohamed Sadiki, conteste les choix ministériels et parle de cultures d’exportation « hydrovores » à propos des tomates, avocats et pastèques exportés vers l’Union Européenne (UE).

En août 2022 dans la presse locale, il analysait les causes de la crise : « On a eu une montée en puissance d’une agriculture qui consomme beaucoup d’eau en été, au moment où il ne pleut pas une goutte du mois de mai jusqu’à octobre. C’est donc l’eau des nappes phréatiques qui a été totalement épuisée ».

Excédé par la stratégie agricole de son pays, Najib Akesbi pose alors une question fondamentale en avril 2024 dans la presse locale: « Quelle est la priorité : battre des records d’exportation de tomates pendant 10 ans, ou avoir de l’eau à boire dans 10 ans ? » Aujourd’hui, Mohamed Sadiki est désavoué pas ses pairs au sein de l’institution universitaire.

Une stratégie critiquée par les députés

En octobre 2023, ce débat a dépassé les cercles universitaires pour arriver au Parlement marocain où la stratégie du ministre de l’Agriculture a été dénoncée.

Le média le360.ma a relaté une partie des débats. Le député Mustapha Ibrahimi a demandé au ministre de l’Agriculture d’« éviter les erreurs qui ont entaché le plan de développement du secteur agricole. Car le ministère n’a pas accordé l’importance nécessaire à la problématique de la sécheresse structurelle et les changements climatiques dans les plans Maroc Vert et Génération Green ».

Puis, il a accusé : « Il s’agit notamment de l’extension du domaine d’irrigation et de l’orientation vers les cultures d’exportation qui ne profitent qu’aux grands agriculteurs ».

Un autre député a évoqué la cherté de la viande : « L’importation des vaches et des moutons n’a pas réduit les prix malgré les subventions accordées aux importateurs ».

Cela était trop pour Mohamed Sadiki qui a perdu son calme et qui a, d’un ton agressif teinté de mépris, lancé : « Je connais mieux que vous l’agriculture ».

Les universitaires ne contestent pas les effets de la sécheresse, mais tous reprochent à Mohamed Sadiki de ne pas avoir mis un frein à cette politique dispendieuse en eau à un moment où les barrages étaient vides et le rabattement des nappes souterraines préoccupant.

Aujourd’hui au Maroc, la situation est dramatique. À Zaio près de Nador, des agriculteurs indiquent qu’il n’y a plus de fruits aux branches desséchées de leurs arbres alors qu’ils doivent rembourser les prêts qui leur ont été consentis pour l’achat d’engrais et de produits phytosanitaires. Ils ont commencé à arracher les arbres fruitiers qu’ils avaient plantés.

En août 2022 Mohamed Tahar Sraïri s’interrogeait : « Pourquoi dans la région d’Agadir a-t-on encouragé les agriculteurs à planter des agrumes sachant que la pluviométrie annuelle n’est que de 200 mm alors que ces arbres réclament 1.200 mm d’eau par an ».

Dans de telles conditions, les agriculteurs ont prélevé de l’eau dans une nappe déjà menacée de surexploitation.

Pour sa part, en novembre 2022, l’expert Marcel Kupper, longtemps en poste au Maroc, lançait l’alerte : « La sécheresse de cette année n’est pas une surprise. Cela devait arriver, et c’est arrivé. C’est un déclin qui était annoncé. Le déficit en eau, ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel; cela se construit sur la durée, en fonction de l’offre et de la demande. Quand on construit une demande qui ne correspond pas à l’offre disponible, cela pose problème ».

France-Maroc, un jeu trouble

Les relations entre la France et le Maroc en matière d’agriculture sont teintées d’intérêts communs. Suite à l’accord de 2012 entre le Maroc et l’UE, à l’époque le Front Polisario a déposé un recours.

Aziz Akhannouch, l’ex-ministre marocain de l’Agriculture, avait menacé : « Toute entrave à l’application de cet accord est une atteinte directe à des milliers d’emplois, d’un côté comme de l’autre, dans des secteurs extrêmement sensibles, ainsi qu’un véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir ».

À cette occasion, le Maroc avait reçu l’assurance du soutien du lobby céréalier français en la personne de Xavier Beulin alors président de la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles de France.

Les accords passés entre le Maroc et la France consistent en fait en un deal : tomates en provenance du Maroc contre accès préférentiel du blé et des oléagineux français au marché marocain.

3-Aveuglement

Cependant, lorsqu’à partir de 2020, le déficit céréalier marocain se creuse et que les propriétaires de moulins délaissent le blé français au profit du blé de la mer Noire moins cher, les choses se compliquent entre les deux pays.

Fin 2023, à l’occasion d’un point de conjoncture des marchés céréaliers organisé par l’organisme public FranceAgriMer, le média français Terre-net se demandait : « Quelle place pour les blés tendres français dans les achats du Maroc ? ».

Les chiffres des douanes avaient de quoi inquiéter la filière céréale française : le Maroc a importé 2,8 millions de tonnes de blé tendre français sur 2022/23, contre 1,7 million de tonnes en 2021/22 et un million de tonnes en 2020/21, notait ce média spécialisé.

La campagne 2023/24 s’annonçait difficile.  Sur les trois premiers mois de la campagne, les achats du Maroc de blé tendre français « s’élevaient à 880 000 tonnes, en recul par rapport à 2022/23 », précisait l’analyste Marc Zribi.

Il n’en fallait pas plus pour que la partie française réagisse et lâche du lest afin de conserver son influence au Maroc.

Ce sera le cas en avril dernier lors de la participation de Marc Fesneau, le ministre français de l’Agriculture, au Salon International de l’Agriculture à Meknès. À cette occasion, l’hebdomadaire français Le Point ira jusqu’à parler de « concessions consenties au Maroc ».

À Meknès, pas moins de huit accords professionnels ont été ratifiés entre plusieurs filières et organismes français avec leurs homologues marocains dans le domaine des céréales, des oléagineux, des semences, du lait et des ovins.

Faut-il voir la distinction de Mohamed Sadiki comme faisant partie de l’opération de charme décidée par les services agricoles français ?

Au niveau de l’Académie d’Agriculture de France, celui-ci aura trouvé une assemblée bien plus conciliante que celle du Parlement marocain et de ses députés qui s’inquiètent du devenir de l’agriculture au Maroc.

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