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« Il y a deux types de cancers qui se détachent en Algérie »

« Il y a deux types de cancers qui se détachent en Algérie »

Le Pr Messaoud Zitouni, coordinateur du plan national anti-cancer, dresse un tableau saisissant et inquiétant de l’évolution des cancers en Algérie, avec des chiffres qui ne cessent d’augmenter.

Comment évoluent les cancers en Algérie ?

D’après l’OMS, le cancer est en train d’augmenter de manière presque inattendue. On savait la maladie en augmentation continue mais cette année il y a eu une surprise ; on pensait qu’il y aurait 18 à 19 millions de malades dans le monde pour l’année 2020, mais finalement on est à presque 20 millions de cancéreux, avec 10 millions de morts. Dans les mêmes statistiques publiées par l’OMS, l’Algérie compte 58 000 nouveaux cas de cancer en 2020 avec 32 000 morts. La mortalité est assez conséquente. Par conséquent, la lutte contre le cancer doit continuer mais en plus s’amplifier.

Que devient le plan national anti-cancer ?

Le plan continue. Comme vous le savez, le plan anti-cancer a démarré il y a quelques années. Dans le cadre des politiques publiques, la planification est un élément essentiel.

Tout plan qui se veut sérieux comporte l’étape de la préparation, l’étape de construction et enfin celle de la mise en œuvre. Ces trois premières étapes ont été très bien franchies par le comité de pilotage et sa trentaine d’experts.

Et depuis une année, nous étions sur la dernière phase du plan, en l’occurrence son évaluation. Malheureusement, il y a eu cette pandémie de Covid-19 qui a arrêté toutes les activités dont celle du comité de pilotage.

Et depuis une semaine, vu la baisse des cas de Covid en Algérie, les experts ont repris leur travail pour mener à bien cette évaluation. Nous comptons terminer dans six ou neuf mois pour rendre les rapports définitifs.

À ce moment-là, il y aura dans ce rapport final toutes les indications sur les résultats du plan, et tracer une nouvelle stratégie en adoptant la première (stratégie) en fonction des nouveaux progrès et défis. La prochaine stratégie ne pourra pas se passer de tenir compte des effets et des séquelles de la Covid-19.

Le budget 2021 du plan anti-cancer a-t-il été enlevé ?

En réalité, ce n’est pas le budget. Dans les détails du plan cancer il y a des axes qui sont à caractère purement médical et scientifique. Le 8e axe est dédié d’une part aux financements pour la lutte contre le cancer, et d’autre part à la réorganisation de cette lutte anti-cancer dans le cadre d’une mise en réseau de tous les centres anti-cancer (CAC) pour que, entre autres, la budgétisation et les dépenses soient faites dans un cadre beaucoup plus coordonné et à l’échelle nationale.

Les CAC de tout le pays ont été dotés d’une somme de 184 milliards de dinars. En 2012, l’État a décidé d’accorder à la lutte contre le cancer un fonds spécial. L’origine des ressources de ce fond proviennent essentiellement des taxes, etc. Bon an mal an, le fonds bénéficiait entre 6 et 7 milliards DA par an.

Or, le groupe de travail du comité de pilotage en charge du volet des financements a analysé ces dépenses, et il s’est aperçu qu’en réalité (les ressources financières de) ce fond n’étaient pas dépensées.

Cette somme revenait au Trésor public. Cette situation a duré sept ans, de 2013 à 2020, et à chaque fois, nous avons attiré l’attention sur le fait qu’il est normal qu’un budget qui n’est pas utilisé retourne au ministère des Finances, mais qu’il n’est pas normal que les malades n’en profitent pas.

Et à chaque fois, nous avons alerté que ce fonds risquait d’être supprimé ou clôturé. Or, dans la Loi de finances 2021, sur les 30 fonds existants, 5 ou 6 ont été totalement préservés mais le fonds cancer figure, lui, parmi les 23 fonds qui ont été clôturés. On a dit que des dispositions nécessaires allaient être prises pour le relancer, mais si ce fonds pouvait être remis ce serait une bonne chose.

Qu’est-ce qu’il y a lieu de faire, selon vous ?

Vu l’extrême urgence d’une augmentation des financements pour la lutte contre le cancer, qui va probablement s’aggraver surtout en période de Covid et post-Covid, il serait extrêmement urgent qu’une procédure d’urgence, comme on le fait pour certains médicaments, soit mise en route par les spécialistes pour que ce fonds soit non seulement remis sur rails mais en plus qu’il soit pérennisé en l’entourant d’une réglementation qui permettra de ne plus y toucher.

Des pistes pour mieux en faire bénéficier les patients cancéreux ?

Les experts du groupe de travail chargé des financements ont proposé un certain nombre d’alternatives, techniques et budgétaires, pour que ce fonds soit utilisé d’une manière rationnelle.

Pourquoi rationnelle ? Parce qu’il y a effectivement des dépenses un peu spécifiques dans la lutte contre le cancer, et dont la budgétisation n’est pas retrouvée dans le détail du budget annuel.

Et donc, c’était une bonne occasion d’utiliser ces fonds par exemple pour le dépistage du cancer du sein, à travers l’achat des mammographes dédiés spécifiquement au dépistage, ou encore en donnant des sommes supplémentaires pour les fameuses thérapies anticancéreuses innovantes.

Et aussi d’utiliser ces fonds dans le cadre de la recherche, de façon à encourager les chercheurs algériens à nous proposer des protocoles.

Durant cette période de Covid, beaucoup de services hospitaliers ont été réquisitionnés pour la lutte contre la pandémie, et parmi ces services figurent les centres anti-cancer.

Par peur d’être contaminés par le coronavirus, des malades ont raté leurs séances de chimiothérapie. Résultat : ils sont de plus en plus nombreux à arriver à des stades très avancés de la maladie…

Il y a trois phénomènes : d’abord, nous avons toujours dit que les cancéreux en Algérie lorsqu’ils arrivaient au moment du traitement, presque 70 % des malades en étaient à un stade avancé de la maladie.

Or, l’un des éléments-clé qui fait la différence dans la lutte contre le cancer, c’est le traitement précoce. Le phénomène s’est, comme vous le dites, aggravé pendant la Covid.

Et il risque de s’aggraver après pour deux raisons : premièrement une baisse de la garde et l’aspect psychologique des malades qui fait qu’ils ont cette peur d’aller consulter à cause du Covid-19.  La deuxième raison a trait au dépistage : quand vous abandonnez les dépistages pendant un an, automatiquement vous avez au minimum entre 10 et 20 % d’augmentation des cancers dans les années qui vont suivre.

Et quand vous allez les découvrir, ils seront justement à un stade avancé. Je pense qu’il doit y avoir un véritable plan d’urgence de prise en charge des cancéreux dans la période du Covid, nécessitant une organisation particulière.

Quelles sont vos projections pour l’avenir ?       

En Algérie, nous n’avons pas d’études précises mais une étude réalisée en Angleterre prévoit que dans les 2 à 3 années à venir, l’incidence des cancers va augmenter automatiquement entre 10 et 20 %, de même que la mortalité.

Maintenant qu’il y a cette éclaircie sur le front de la Covid-19, il faut absolument que l’une des priorités c’est de s’occuper de ces problèmes de cancers pour les dix années à venir.

Les cancéreux doivent-ils être inclus en priorité dans la vaccination contre la Covid ?     

 À côté des professionnels de la santé, les ultra-prioritaires à la vaccination ce sont les cancéreux. D’une part, ils sont âgés et d’autre part atteints de comorbidités avec leurs cancers.

Quels sont les types de cancers les plus fréquents en Algérie ?

Il y en a deux qui se détachent actuellement. Chez la femme, c’est le cancer du sein : nous avons environ 14 000 cas par an. C’est le premier cancer. Le deuxième qui est presque une surprise : c’est le cancer du côlon et du rectum.

Surprise pour deux raisons : la première c’est qu’il atteint une population de plus en plus jeune, soit des malades entre 40 et 50 ans alors qu’en Europe c’est au-delà de 60 ans.

La seconde raison est que ce cancer est en train d’augmenter d’une manière très importante, probablement à cause des mauvaises habitudes alimentaires des Algériens depuis une vingtaine ou une trentaine d’années, qui font le choix des aliments conservés notamment, et aussi à cause d’un certain nombre d’aliments qui sont connus pour leurs effets délétères sur la santé, comme le sel, le sucre et la graisse.

Ces mauvaises habitudes alimentaires entraînent le phénomène de l’obésité qui est quelque peu le corollaire du cancer.

Pour les autres types de cancers dominants en Algérie : il y a le cancer du poumon qui était le premier cancer, et il y a le cancer de la prostate chez l’homme qui augmente d’une manière beaucoup plus importante et c’est lié probablement voire certainement à l’âge de plus en plus élevé des Algériens, et une espérance de vie en nette augmentation.

Ensuite, viennent les cancers de la vessie, de l’estomac et les hémopathies malignes (lymphomes, leucémies, etc.). Il y a aussi les cancers de l’enfant, certes pas nombreux, mais qui existent chez nous.

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