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Règlement des crises régionales : à quoi joue la diplomatie égyptienne ?

Règlement des crises régionales : à quoi joue la diplomatie égyptienne ?

Tribune. Au moment où la scène régionale est traversée par de fortes turbulences et est agitée par de puissants courants déstabilisateurs, l’Egypte a décidé de saisir l’effet d’aubaine de sa présidence de l’Union Africaine pour jouer une partition solitaire au seul bénéfice de ses intérêts de « sécurité nationale » en prenant bien soin d’écarter certaines parties prenantes qui ont leur poids dans la région et dont les intérêts de sécurité sont tout autant légitimes que ceux égyptiens, ne serait-ce qu’au titre du voisinage et de l’indivisibilité de la sécurité.

C’est l’évaluation objective qui se dégage des résultats des deux sommets organisés au Caire, le mardi 23 avril, par le chef d’Etat égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, en sa qualité de président en exercice de l’Union africaine (qu’il a regagnée en grande partie grâce au soutien décisif de l’Algérie en juin 2014), pour traiter en urgence des crises en Libye et au Soudan.

Ce « cavalier seul » de la diplomatie égyptienne interpelle autant pas le format singulier de ces rencontres que par les desseins véritables du pays hôte.

1- D’abord, sur le format :

Le caractère sélectif des pays invités à ces deux réunions suscite de légitimes interrogations sur les motivations réelles d’une démarche censée réunir une masse critique de pays prioritairement concernés par les deux crises.

Dans le cas libyen, par exemple, la mise sur pied, à l’initiative à l’Algérie, du Groupe des pays voisins de la Libye, en mai 2014 à Alger, avait le mérite de fournir une enceinte de concertation qui, malgré les points de vue antagonistes et les intérêts divergents, permettait une adhésion de tous les pays frontaliers à la nécessité d’être collectivement partie à la solution et non pas de se retrouver individuellement partie du problème.

Rien de cet état d’esprit, responsable et constructif, illustré par la sage approche algérienne, ne transparait dans la démarche du président égyptien, pressé sans doute de marquer des points et de reprendre le leadership en profitant opportunément, du repositionnement ferme et public de l’administration américaine en faveur du maréchal Haftar et de « la lutte contre le terrorisme » dans le cadre de l’offensive lancée le 4 avril contre Tripoli, ainsi que de l’appui conséquent et confirmé de la France à cette aventure militaire.

Les dénégations embarrassées et peu crédibles de Paris ne trompent plus personne car l’appui de la France est acquis au maréchal depuis fort longtemps, à l’instigation notamment du ministre Le Drian lorsque ce dernier officiait encore au ministère de la défense.

Nécessaire réactivité du couple algéro-tunisien

Ainsi, on comprend mieux la raison pour laquelle Le Caire a décidé de bouder l’initiative algérienne appelant à une réunion urgente dans le cadre de la tripartie Algérie-Tunisie-Egypte. En ce faisant, le Caire et ses alliés saoudien et émirati notamment, dont l’objectif stratégique commun est de placer à Tripoli un gouvernement autoritaire et anti-frères musulmans, a fait résolument le choix de l’option militaire au détriment de la solution pacifique et politique prônée par la communauté internationale, en misant semble-t-il, sur les gains militaires engrangés par Haftar dans la reconquête du Fezzan et qui auraient donné à ce dernier, aux yeux des égyptiens et de leurs alliés, une légitimité plus grande.

En conséquence, L’Algérie et la Tunisie doivent aujourd’hui faire entendre leurs voix, taper sur la table et faire face à ce diktat inacceptable du Caire, qui a choisi la carte des armes, et qui fait tout pour les marginaliser et les écarter de la recherche d’une solution politique à cette crise libyenne qui impacte pourtant directement, frontalement et massivement leur sécurité et leur stabilité.

Elles doivent reprendre urgemment l’initiative pour faire prévaloir la nécessité d’écarter résolument l’option militaire, privilégiée par le président Al-Sissi et qui risque de fragmenter la Libye et d’embraser et de déstabiliser l’ensemble du voisinage.

Toujours par rapport au format de cette réunion, il est en effet totalement incompréhensible que des pays géographiquement éloignés du théâtre libyen, à l’image de Djibouti, l’Ethiopie, l’Ouganda, le Kenya, la Somalie et le Nigeria, aient été conviés à prendre part à ce conclave et que les pays du voisinage immédiat, qui sont concernés à plus d’un titre aient été délibérément exclus. Les enjeux communs entre certains de ces pays, comme l’Ethiopie par exemple, en matière de sécurité alimentaire et fluviale, permettent néanmoins de saisir le caractère fortement intéressé du format voulu par le Caire.

2- Ensuite, sur les visées et les résultats :

En ce qui concerne la Libye, les conclusions du sommet sont fortement marquées par l’emprise de la présidence égyptienne et elles sont en décalage flagrant par rapport à la primauté de la solution politique promue par la communauté internationale.

En fait, elles reflètent une transposition sans fondement des avatars de la situation interne égyptienne, notamment sa position dogmatique contre l’organisation des Frères musulmans considérée comme organisation terroriste (rejoignant en cela la position doctrinale de son puissant parrain émirati, chargé du financement de la logistique et de l’acquisition d’armes pour le compte de Haftar).

Preuve en est l’appel pressant, dans le communiqué sur la Libye, à « permettre à l’armée (du maréchal Haftar) de s’acquitter de son devoir de préserver l’unité et la souveraineté du territoire libyen, en mettant un terme au chaos des milices et (…) d’éliminer le terrorisme » et la mise sur le même pied d’égalité du Maréchal Khalifa Haftar et du Gouvernement d’union nationale, pourtant seule autorité légitime reconnue par la communauté internationale.

Dans le cas de la crise soudanaise, cette même volonté d’extrapolation de l’expérience égyptienne est perceptible dans le communiqué final qui, grâce au forcing du Caire, a prolongé à trois mois au lieu de 15 jours, le délai initialement fixé par l’UA, pour la mise en place d’une « autorité politique civile » à Khartoum, sous peine de sanction (suspension).

La posture unilatéraliste de la diplomatie égyptienne, qui se nourrit d’un exclusivisme de mauvais aloi, visant à forcer la voie aux seuls intérêts étroits du pays (et ceux de ses puissants alliés extrarégionaux comme l’Arabie saoudite dont le roi Salman avait accueilli Haftar, le 27 mars à Ryad et les Emirats qui ont abrité une importante réunion sur la Libye, le 27 février à Abou Dhabi avant de recevoir Haftar une deuxième fois, le 02 avril ) est porteuse d’une forte charge déstabilisatrice pour l’ensemble de la région.

Cette obstination, irresponsable, illégitime et aventuriste, à vouloir imposer le maréchal Haftar, par les armes, va entrainer une escalade macabre, un risque sérieux de fragmentation du pays et une possible résurgence de la guerre civile dans une Libye exsangue, qui poursuit inexorablement sa descente aux enfers depuis l’effondrement du régime Khaddafi en 2011, sous le feu de l’OTAN et sous la responsabilité toute particulière de la France qui a contribué, non seulement, à la création d’un Etat failli aux portes de l’Algérie (avec tout ce que cela implique pour notre sécurité nationale) mais également à la déstabilisation du Mali avec le fameux mirage de l’Azawad indépendant que Sarkozy faisait miroiter aux Touaregs pour les débaucher de l’armée libyenne.

En devenant le réceptacle de guerres par procuration entre des Etats et des puissances aux intérêts divergents (Turquie et Qatar, d’un côté et Egypte, Arabie Saoudite, Emirats de l’autre sans parler du jeu trouble des certains pays occidentaux) qui arment leurs camps respectifs, les troubles en Libye risquent de s’exacerber et de durer encore longtemps avec comme conséquences tragiques, l’aggravation des pertes humaines et des destructions, l’accroissement des déplacements internes et des flux migratoires ainsi que des répercussions régionales funestes qui ne manqueront pas d’impacter gravement la sécurité et la stabilité des pays voisins.


* A. Boutalbi est un ancien cadre au ministère des AE


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