C’est désormais un réflexe inéluctable au Maroc, que ce soit dans les déclarations des officiels ou les écrits de certains médias : on n’évoque pas les relations avec la France sans impliquer l’Algérie.
Cela s’est notamment intensifié depuis que Paris et Alger ont dépassé leur brouille de l’automne 2021 et ouvert une nouvelle page dans leurs relations. De la jalousie dans l’air ?
Le moindre fait et geste en Algérie ou en France concernant les rapports franco-algériens, sans forcément concerner le Maroc, est minutieusement scruté à Rabat.
Même le ton utilisé par les médias français quand ils écrivent de l’Algérie n’échappe pas aux déductions hâtives de la presse marocaine réputée proche du palais royal. C’est le cas des dépêches de l’Agence France presse traitant de la dernière résolution du Parlement Européen sur la liberté de la presse en Algérie.
Le Parlement européen a adopté jeudi 11 mai à une très large majorité une résolution condamnant l’Algérie pour les atteintes à la liberté de la presse et réclamant la libération du journaliste El Kadi Ihsane, condamné le 2 avril dernier à 5 ans de prison, dont 3 ans fermes.
Auparavant, en janvier, c’est le Maroc qui avait été mis au pilori par la même institution et à peu près pour les mêmes raisons.
Mais, la presse officieuse marocaine juge que l’AFP n’a pas réservé le même traitement aux deux événements, l’accusant de parti pris en faveur de l’Algérie, « ménagée » par les rédacteurs français, contrairement au Maroc contre lequel une rhétorique plus dure a été utilisée.
Dans un éditorial, le quotidien le Matin, connu pour être une des voix officieuses, du pouvoir marocain, estime que ce traitement « préférentiel » fait suite aux « pressions politiques » du gouvernement français pour atténuer la portée de la résolution du Parlement européen sur l’Algérie.
Pour des observateurs marocains indépendants, la teneur de cet édito est le signe de la persistance de la crise entre Paris et Rabat.
Quand le Maroc se brouille avec la France et accuse l’Algérie
En crise avec la France depuis plusieurs mois, le palais royal marocain a toujours, par le biais de ses relais, accusé la France d’Emmanuel Macron et l’Algérie d’être derrière les multiples condamnations dont le Maroc a fait l’objet sur la scène internationale.
Il l’a fait lors de l’éclatement du scandale de corruption de députés européens en décembre 2022, puis lors de l’adoption de deux résolutions successives condamnant le royaume en janvier, une pour les atteintes à la liberté de la presse et une autre pour l’implication de ses services dans le dit scandale.
La seule « preuve » avancée dans les analyses soutenant cette thèse, c’est le vote des deux résolutions par les députés du groupe Renew Europe, comprenant des élus du parti du président français.
Le raccourci est vite trouvé pour les plumes du régime marocain : les relations entre Alger et Paris étant redevenues bonnes, il y a forcément connivence des deux capitales pour accabler le royaume.
Pour de nombreux observateurs la perte d’influence du Maroc sur la scène internationale est d’abord imputable aux agissements de ses services, comme ce réseau mis en place pour corrompre des élus européens, et l’enhardissement de sa direction politique, qui s’est accru depuis la signature des accords de normalisation avec Israël et la déclaration de l’ancien président américain Donald Trump reconnaissant la « souveraineté marocaine » sur les territoires occupés du Sahara occidental.
Après ces accords signés en 2020, le Maroc avait multiplié les bras de fer avec de grands pays de l’Union européenne, comme l’Allemagne et l’Espagne.
Contre cette dernière, il avait mis à exécution son « chantage migratoire » en mai 2021, en laissant des milliers de migrants traverser la frontière des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Surtout, en juillet de la même année, il a été pris la main dans le sac dans un grave scandale d’espionnage de personnalités locales étrangères via le logiciel espion israélien Pegasus.
Parmi les personnalités ciblées, se trouvait justement le président français Emmanuel Macron et, selon de nombreux observateurs, cet acte incroyable est pour beaucoup dans la dégradation des relations franco-marocaines.
Alors que le président Macron a effectué en août 2022 une visite qualifiée de « réussie » en Algérie, suivie de celle de sa première ministre Elisabeth Borne qui a déplacé avec à Alger la moitié de son gouvernement en octobre de la même année, celle que le chef de l’Etat français devait effectuer au Maroc a été reportée sine die et semble même définitivement annulée.
Au Maroc, ce n’est pas tant la brouille avec la France qui semble déranger, mais le réchauffement des relations de cette dernière avec l’Algérie. Sinon comment expliquer cette tendance à impliquer un pays tiers lorsqu’il s’agit de traiter de relations bilatérales entre deux Etats souverains.
Sahara occidental : la stratégie de la pression permanente
Il faut dire aussi que Rabat, longtemps « enfant gâté » de l’Europe, ne dispose plus dans la nouvelle classe politique, notamment française, des mêmes soutiens qu’auparavant.
Ses seuls supporters dans l’Hexagone se comptent parmi les voix du courant extrémiste. Pour étayer ses visées sur le territoire algérien, le Maroc a eu recours au suprématiste très controversé en France, Bernard Lugan.
Plus récemment, et à propos justement des relations franco-marocaine, c’est Eric Ciotti, le personnage le plus extrémiste de la droite traditionnelle française, qui est venu à Rabat, accompagné de la franco-marocaine Rachida Dati, plaider la reconnaissance par la France de la « marocanité » du Sahara occidental.
Au passage, ils ne se sont pas empêchés d’appeler à un rééquilibrage de la politique française au Maghreb, qu’ils jugent, eux aussi, favorable à l’Algérie.
Toutefois, en prenant fréquemment le président Macron pour cible et en déroulant le tapis à des opposants comme Eric Ciotti, le Maroc cherche aussi à faire pression sur la France pour l’amener à suivre la voie espagnole en reconnaissant sa souveraineté sur le Sahara occidental.
Dans un discours prononcé le 20 août dernier, le roi Mohamed VI a demandé aux pays amis de clarifier leur position sur le Sahara occidental qui est le « prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. »
« C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit », a-t-il dit. Dans la liste des pays amis qui soutiennent les thèses marocaines sur le Sahara occidental citées par Mohamed VI a cité, la France n’y figure pas.
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