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Retour sur le partenariat asymétrique Algérie-UE : Bruxelles va-t-elle mettre sa menace à exécution ?

Retour sur le partenariat asymétrique Algérie-UE : Bruxelles va-t-elle mettre sa menace à exécution ?

Devant l’Assemblée nationale française, la Commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, avait affirmé, mardi 10 avril, que les limitations aux importations instaurées par l’Algérie n’étaient « pas en conformité avec les accords de libre-échange » contenus dans l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et l’Algérie.

Elle a ajouté qu’en cas d’échec du dialogue engagé entre les deux parties à ce sujet, « il faudra évoquer les clauses de règlement de différends » de cet accord.

Ces déclarations reflète-t-elle vraiment l’esprit dans lequel l’accord d’association UE-Algérie a été signé ? Le recours aux clauses de règlement de différends serait-il justifié du point de vue des dispositions de ce même accord ? Et même s’il l’était, l’UE a-t-elle vraiment intérêt à le faire ?

Accord UE-Algérie, pour une « prospérité partagée »…

L’accord d’association UE-Algérie est le fruit de ce qu’on appelle le processus de Barcelone, ou le partenariat Euromed, lancé en novembre 1995, à l’initiative de l’UE, visant à rapprocher celle-ci des pays de la rive sud de la Méditerranée avec pour objectif, selon la Déclaration de Barcelone, « de construire ensemble un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée ».

Ce partenariat prend la forme d’accords d’association, entre l’UE et 10 pays du sud de la Méditerranée, englobant les domaines politique, économique, financier, culturel et social. Sur le plan économique, le partenariat Euromed visait à instaurer une zone méditerranéenne de libre-échange à l’horizon 2010, montrant par ailleurs la nature néo-libérale de ce projet. L’accord d’association UE-Algérie, signé en 2002 à Valence en Espagne et entré en vigueur le 1er septembre 2005, est le dernier du partenariat Euromed à avoir vu le jour.

Contexte de la signature de l’accord UE-Algérie

L’accord d’association avec l’UE est intervenu au sortir d’une décennie 1990 meurtrière et dévastatrice pour l’Algérie, dont elle était sortie économiquement exsangue (22 milliards de dollars de destructions) et politiquement et diplomatiquement isolée, y compris au sein de l’espace euro-méditerranéen auquel elle appartient, alors qu’elle combattait seule, pour elle-même et pour le monde, un terrorisme des plus abjects.

La volonté du gouvernement au sortir de cette tragédie était non seulement de remettre sur pied l’économie du pays mais aussi de sortir celui-ci de l’isolement dans lequel il avait été confiné, notamment vis-à-vis de ses partenaires européens, afin de mieux faire entendre le point de vue de l’Algérie sur la décennie sanglante qu’elle venait de vivre et plus généralement sur le phénomène du terrorisme…

Si sur le plan politique, Algérie et UE affichent souvent une entente cordiale, sur le plan économique par contre, le gouvernement algérien déplore une « asymétrie structurelle » dans la mise en œuvre de l’accord d’association.

Zone de libre-échange UE-Algérie : ce que prévoit laccord

L’accord d’association UE-Algérie prévoit de « fixer les conditions de la libéralisation progressive des échanges de biens, de services et de capitaux », c’est-à-dire de créer une zone de libre-échange algéro-européenne à travers un démantèlement total mais progressif des tarifs douaniers à l’horizon 2017, et ce, en trois étapes.

Dans une première étape allant de 2005 à 2007, une liste de 2.076 positions tarifaires avait été complètement démantelée. Au cours de la seconde étape, une seconde liste de 1.100 positions tarifaires devait être totalement démantelée entre 2008 à 2012 alors qu’à l’horizon 2017, une troisième étape prévoyait d’achever le démantèlement du reste des positions tarifaires au nombre de 1964.

Dès 2010, la partie algérienne avait demandé la négociation d’un report du démantèlement tarifaire avec l’UE qu’elle a fini par obtenir en 2012. Un accord avait été trouvé sur un nouveau schéma de démantèlement tarifaire portant sur 1058 positions tarifaires ventilées entre les listes 2 et 3 citées ci-dessus. Cet accord a de fait repoussé la date de l’établissement de la zone de libre-échange à 2020 tout en fournissant, selon le gouvernement algérien de l’époque, une période supplémentaire aux entreprises algériennes pour se préparer à la concurrence à venir.

Un partenariat économique « asymétrique »

Les pays de l’UE constituent les principaux partenaires commerciaux de l’Algérie avec lesquels elle effectue près de 60% de ses échanges commerciaux qui sont nettement à l‘avantage de l’UE. Selon les chiffres des douanes algériennes, sur la période 2005-2015, les exportations hors hydrocarbures de l’Algérie vers l’UE se sont établies à 14 milliards de dollars tandis que l’Algérie a importé pour 220 milliards de dollars de l’UE.

De plus, selon une étude empirique du professeur Kheladi Mokhtar de l’université de Bejaia, se basant sur les données de l’Office national des statistiques (ONS), les prix des produits importés de l’UE sujets au démantèlement tarifaire n’ont pas baissé, l’indice synthétique des prix à la consommation n’ayant fait qu’augmenter sur 10 ans. Cela concerne aussi bien les produits importés que les produits locaux utilisant des intrants importés.

En termes de recettes douanières, le gouvernement algérien estimait en 2015 le manque à gagner occasionné sur la même période, à plus de 700 milliards de DA soit plus de 6,7 milliards d’euros (au taux de 2015).

Le gouvernement algérien déplore également un faible niveau des investissements directs étrangers (IDE) dans l’économie nationale venant de l’UE. Selon les données de l’Office statistique européen, Eurostat, publiées en décembre 2017, les stocks des IDE détenus par les entités économiques de l’UE en Algérie s’élevait à 14,622 milliards d’euros à fin 2016. En Égypte et au Maroc, deux autres pays faisant partie du partenariat de l’Euromed, ces stocks étaient à fin 2016, respectivement de 43 milliards et 15,720 milliards d’euros.

Des entraves à la performance économique côté algérien

Un des facteurs expliquant la faiblesse des exportations algériennes à destination de l’UE, selon les spécialistes, réside dans les retards structurels de l’économie algérienne, de par l’environnement des affaires et la structure du tissu économique en Algérie.

Selon la même étude empirique, les rares entreprises ayant des produits à exporter ont pendant longtemps été confrontées à de lourdes procédures bureaucratiques, elles-mêmes mal maîtrisées par des institutions sous-informatisées et dont les missions ne sont pas clairement définies.

 

Le dispositif national du commerce extérieur – composé des banques, douanes, administration, ports, etc. – a pour longtemps eu pour seule mission d’importer et n’est donc pas conçu pour l’exportation. À cela s’ajoute le fait que la législation algérienne en matière d’investissement, est souvent peu claire et peu lisible pour les investisseurs étrangers, notamment européens, qui évoquent par exemple, l’application de la règle 51/49% à tous les secteurs d’activité confondus, comme étant un obstacle à l’investissement.

Selon les spécialistes dans le domaine, la structure du tissu économique, composée à 97% de très petites entreprises (TPE), est quant à elle peu orientée vers la performance économique en termes de production et d’exportation.

Ceci notamment en raison du fait que le capital national investit souvent dans des secteurs peu porteurs de risques ne nécessitant ni capitaux importants ni capacités de gestion particulières comme le BTP et le commerce.

Les spécialistes pointent aussi du doigt la méconnaissance de certaines normes de qualité par nombre d’entreprises algériennes qui voient parfois leurs produits refoulés aux douanes européennes car ne respectant pas les normes en vigueur sur le marché européen.

De ce fait, les entreprises algériennes n’étant pas assez outillées pour conquérir des marchés extérieurs, elles se contentent souvent du marché local. Elles ont donc très peu mis à profit les effets du démantèlement tarifaire avec l’UE pour gagner en compétitivité et s’assurer des parts sur le marché européen qui leur est pourtant ouvert.

Quelques efforts de réformes économiques…

Avec la chute brutale des cours du pétrole dès 2014, lui occasionnant des déficits commerciaux et budgétaires répétés, l’Algérie tente depuis de redresser la situation en introduisant une série de mesures (guichet unique pour les investisseurs, révision du Code de l’investissement, abattement fiscaux, assouplissement des procédures bureaucratiques pour la création d’entreprises, réorganisation des entreprises publiques, etc.) dans le cadre d’un modèle de croissance qui se veut nouveau, et qui, selon le gouvernement, serait de nature à améliorer l’environnement des affaires, stimuler et attirer les investissements et relancer l’appareil productif en remettant l’entreprise, publique et privée, au centre de la stratégie de croissance. De l’avis des spécialistes, l’effet de ces mesures prendra du temps.

…et beaucoup de restrictions à l’importation

Le gouvernement a aussi procédé à une réorganisation du système algérien des importations. D’abord par l’instauration de licences d’importations assorties de quotas, toujours en vigueur pour l’automobile dont l’industrie est à ces balbutiements.

Ensuite, depuis 2018 par des suspensions provisoires à l’importation et le rétablissement des droits de douanes pour plus de 1000 produits ayant leurs équivalents locaux et répondant aux normes de qualité. Ces mesures avaient été très encouragées par les producteurs locaux.

Pour justifier ces mesures, notamment vis-à-vis des partenaires commerciaux européens, le gouvernement a assuré qu’elles étaient provisoires, le temps de rééquilibrer la balance des paiements. Comme pour l’accord de révision de 2012, le gouvernement a invoqué les clauses dites de sauvegarde, contenues dans les articles 9 et 11 de l’accord d’association.

Des critiques européennes fondées ?

Les restrictions à l’importation ont été fortement critiquées par les officiels de l’UE – et par certains gouvernements européens – estimant que ces restrictions étaient contraires à l’accord d’association, menaçant même de recourir aux clauses de règlement des différends de l’accord.

Cependant au vu des dispositions des clauses de sauvegarde de l’accord d’association, le gouvernement algérien semble avoir parfaitement le droit d’opérer ces restrictions à l’importation dont il ne cesse d’ailleurs d’en rappeler le caractère temporaire. Ainsi les articles 9 et 11 disposent :

Article 9 paragraphe 4 : « En cas de difficultés graves pour un produit donné, le calendrier établi (…), peut être révisé d’un commun accord par le Comité d’association (…). Si le Comité d’association n’a pas pris de décision dans les trente jours suivant la notification de la demande de l’Algérie de réviser le calendrier, celui-ci peut, à titre provisoire, suspendre le calendrier pour une période ne pouvant dépasser une année ».

Article 11 paragraphe 1 : « Des mesures exceptionnelles de durée limitée qui dérogent aux dispositions de l’article 9 peuvent être prises par l’Algérie sous forme de droits de douane majorés ou rétablis. Ces mesures ne peuvent s’appliquer qu’à des industries naissantes ou à certains secteurs en restructuration ou confrontés à de sérieuses difficultés, surtout lorsque ces difficultés entraînent de graves problèmes sociaux. (…). Ces mesures sont appliquées pour une période n’excédant pas cinq ans (…)». Cet article ajoute que « les droits de douanes introduits par ces mesures ne peuvent excéder 25% ad valorem » et « ne peuvent excéder 15% des importations totales de la Communauté en produits industriels ».

Ces articles par ailleurs précisent tous deux que les mesures introduites ne peuvent-être appliquées à l’expiration d’une période maximale de transition – dont la durée est précisée dans l’article 6 de l’accord d’association – à savoir, 12 ans après l’entrée en vigueur de l’accord d’association, conformément aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Seulement, cet accord ayant été amendé en 2012, cette période de transition a été repoussée à 2020.

Alors comment compte s’y prendre l’UE pour mettre en œuvre les clauses de règlement de différends qu’elle a évoquées ? Celles-ci sont contenues dans l’article 100 de l’accord d’association.

Cet article prévoit que « tout différend relatif à l’application et à l’interprétation du présent accord » peut dans un premier temps être réglé après saisine du Conseil d’association qui « peut régler le différend par voie de décision » qui doit être appliquée par chaque partie.

En cas de persistance du différend, 3 arbitres sont désignés, 1 par l’UE, 1 par l’Algérie et 1 par le Conseil d’association, dont les décisions «  sont prises à la majorité ». L’article 100 dispose aussi que « chaque partie au différend est tenue de prendre les mesures requises pour l’application de la décision des arbitres ».

Cette procédure risque de prendre quelques mois. Attendons l’issue du dialogue entre les deux partie qui dira si l’UE ira jusque-là.

Pour moins de confrontation et plus de compréhension

Serait-il bien raisonnable pour l’UE de suivre une logique de confrontation avec l’Algérie à ce sujet ? Les partenaires européens devraient garder à l’esprit que même durant les périodes les plus difficiles de son Histoire, l’Algérie a toujours assuré une bonne part de leur sécurité énergétique, contribue grandement à la sécurité régionale et constitue toujours un débouché important pour les produits européens.

Dans une réaction aux critiques des officiels de l’UE, le patronat algérien (FCE) et la principale organisation syndicale  (UGTA) avaient affirmé, mardi 17 avril, que ces mesures instaurées dans une « conjoncture qui peut produire des conséquences graves sur l’économie nationale (…) ne relèvent nullement d’une volonté de restreindre les échanges commerciaux » et « ne remettent nullement en cause la volonté de l’Algérie de consolider sa coopération économique avec ses partenaires stratégiques dont l’Union européenne fait partie ».

En attendant la réaction du gouvernement, l’UGTA et le FCE ont aussi estimé que les partenaires européens « devraient plutôt appuyer les efforts de l’Algérie tant les réformes introduites sont de nature à renforcer ses performances économiques, et, de façon corollaire, à intensifier le volume de sa coopération internationale ».

Dans une autre réaction, l’économiste et vice-président du Cnes, Mustapha Mekideche, avait déclaré au micro de la radio Chaîne 3 que l’accord d’association n’avait de sens, pour l’Algérie du moins, que « s’il l’aidait à réduire la vulnérabilité de (son) économie » tout en estimant que ceci serait plus conforme à l’esprit de la déclaration de Barcelone.

Hier, des industriels algériens ont critiqué, à leur tour, les déclarations de la commissaire européenne.

Voit-on alors l’Algérie comme un véritable partenaire avec lequel l’UE voudrait créer une véritable zone de prospérité partagée ? Ou bien veut-on en faire un autre exemple de l’expansion de l’ordre néolibéral du monde, dans lequel seul compte le profit à tout prix au détriment du bénéfice mutuel. Un ordre du monde que même les peuples européens eux-mêmes ne veulent pas.

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