Depuis le 2 avril, le Sénégal a un nouveau président. Le cinquième seulement depuis l’indépendance de ce pays de l’Afrique de l’Ouest en 1960.
Ce chiffre à lui seul renseigne sur la stabilité politique du pays, une rareté dans la région. L’élection de Bassirou Diomaye Faye, après la brève crise politique que l’on sait, de surcroît au détriment du candidat du parti au pouvoir, démontre que les ressorts de la démocratie sénégalaise fonctionnent.
Une telle issue est d’autant plus remarquable qu’elle contraste avec la succession de coups d’État et de crises institutionnelles qui déstabilisent de nombreux pays de la région, notamment ceux du Sahel.
En trois ans, sept coups d’État ont été exécutés dans sept pays d’Afrique (Soudan, Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger et Gabon). Le Mali a même connu un double putsch en 2020 puis en 2021 et le Niger a évité de justesse une intervention militaire de ses voisins pour rétablir le président élu et chasser les putschistes du pouvoir.
La plupart de ces pays sombrent depuis, au pire dans la guerre civile et le terrorisme, au mieux dans une crise institutionnelle inextricable.
La reprise des putschs au début de la décennie en cours est survenue après une vingtaine d’années d’accalmie générée par deux mesures phares prises par les dirigeants africains à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
La Déclaration d’Alger a interdit la présence aux sommets africains des dirigeants issus de coups d’État et celle de Lomé (Togo) a prôné la « tolérance zéro » à l’égard des changements de régime extraconstitutionnels.
La nouvelle vague de putschs s’explique par l’absence de traditions démocratiques dans les pays touchés et les interférences étrangères. Plusieurs puissances mondiales aux intérêts antagoniques s’affrontent désormais au Sahel par groupes terroristes, mercenaires ou dirigeants locaux interposés.
Le Sénégal, en revanche, a des traditions ancrées d’alternance pacifique au pouvoir qui ne laissent pas de prétexte aux tentatives d’ingérence. Il reste l’un des rares pays d’Afrique à n’avoir jamais connu, en 65 ans d’indépendance, de coup d’État ni même de crise institutionnelle majeure et de longue durée.
Le pays a été dirigé après la fin de la colonisation française en 1960 par un illustre intellectuel, Léopold Sédar Senghor, appelé aussi le « président-poète ».
Senghor était ministre dans le gouvernement français avant l’indépendance et le premier africain à siéger à l’Académie française. Sous sa présidence, le multipartisme a été suspendu en 1963, mais il sera rétabli en 1976.
Contrairement à de nombreux dirigeants africains issus des indépendances, Senghor n’est pas resté au pouvoir jusqu’à sa mort ni n’en a été chassé par un coup d’État. Il a démissionné en décembre 1980 de son propre gré avant la fin de son quatrième mandat.
Démocratie et alternance au Sénégal : une rareté en Afrique
Comme lui, son successeur Abdou Diouf est resté deux décennies au pouvoir (1981-2000) durant lesquelles il s’est attelé à approfondir la démocratie sénégalaise.
En 2000, il a accepté sa défaite face à l’opposant historique Abdoulaye Wade. Une autre rareté sur le continent. Après 12 ans au pouvoir, Wade a, lui aussi, reconnu en 2012 la victoire de son adversaire Macky Sall.
Le 3 février dernier, Sall a failli créer un précédent et stopper net cette succession presque unique en Afrique d’alternance démocratique et pacifique au pouvoir en prenant la décision surprenante, à quelques heures de l’ouverture de la campagne électorale, de reporter l’élection présidentielle prévue initialement le 25 février. Macky Sall n’était pas candidat, mais il était soupçonné d’avoir agi ainsi afin d’éviter la défaite du candidat du pouvoir.
Après des manifestations de rue qui ont fait au moins trois morts et des dizaines d’arrestations, le Sénégal a fait appel à l’une de ses vieilles institutions pour imposer le respect de l’échéancier électoral et les règles du jeu démocratique.
Bien que soutenue par le Parlement, la décision de Sall a été invalidée par le Conseil constitutionnel le 15 février. Le scrutin a eu lieu le 24 mars et a été remporté par l’opposant Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour avec 54 % des voix. Le nouveau président a prêté serment le 2 avril, le jour même de la fin du mandat de Macky Sall, et la crise politique fait déjà partie du passé.
Cette intervention salutaire du Conseil constitutionnel n’est pas une première du genre pour une institution sénégalaise. En 1963, c’est le Parlement qui a fait échec à un coup de force tenté par Mamadou Dia, président du Conseil (le pays vivait alors sous un régime bicéphale avec un président de la République et un chef du gouvernement, calqué sur le modèle de la IVe République française).
La démocratie sénégalaise n’est pas parfaite, comme le montrent les répressions sporadiques et les arrestations récurrentes d’opposants. Le nouveau président a lui-même été arrêté en avril 2023 avec son mentor politique Ousmane Sonko. Les manifestations qui avaient suivi l’emprisonnement de Sonko avaient fait 16 morts.
Mais le modèle sénégalais reste l’un des moins mauvais en Afrique, au moins sur le point essentiel de l’alternance pacifique au pouvoir. Le continent gagnerait à s’en inspirer.
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