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Trois mois après le départ de Bouteflika, l’Algérie est toujours dans l’impasse

Trois mois après le départ de Bouteflika, l’Algérie est toujours dans l’impasse

Quatre-vingt-dix jours sont passés depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika du poste de président de la République, après quatre mandats à la tête de l’État.

Bouteflika, 82 ans voulait sortir par la grande porte. Il a été chassé par la rue. Un mouvement populaire sans précédent a démarré le vendredi 22 février dernier l’a obligé à abandonner le projet du 5e mandat. Il avait, dans une lettre, déclaré avoir « écouté et entendu » le « cri du cœur des manifestants » qui ont exprimé « une inquiétude compréhensible face aux incertitudes qui les animent ».

Bouteflika, ou ceux qui décidaient à sa place, a tenté de manœuvrer pour prolonger son mandat en promettant l’organisation d’une conférence nationale et la révision de la Constitution, avant la tenue d’élections présidentielles. En vain.

Le commandement de l’armée a exigé, fin mars, l’application de l’article 102 de la Constitution qui porte notamment sur les cas d’empêchement de poursuivre les activités présidentielles pour cause de décès ou de maladie durable.

Dans sa lettre de démission, Bouteflika, qui s’est habitué au langage des lettres pendant plus de cinq ans en raison d’une aphonie irréversible, a plaidé sa volonté de « contribuer à l’apaisement des cœurs et des esprits » de ses compatriotes et de leur permettre de « projeter ensemble l’Algérie vers l’avenir meilleur auquel ils aspirent légitimement ».

Il n’a rien fait pour préparer cet « avenir » à part nommer un nouveau gouvernement à la dernière minute, présidé par un ex-ministre de l’Intérieur fortement contesté par la rue, Noureddine Bedoui, et un vice-Premier ministre, Ramtane Lamamra, tout aussi contesté. Lamamra est parti, Bedoui est resté.

Grand procès des années Bouteflika

« Dieu, Le Tout-Puissant, m’est Témoin des initiatives que j’ai prises, des actions que j’ai menées, des efforts que j’ai déployés et des sacrifices que j’ai consentis pour être à la hauteur de la confiance dont mes compatriotes m’ont honoré », a tenté de se justifier Abdelaziz Bouteflika dans sa missive de démission où il a présenté ses excuses aux Algériens.

Selon sa logique, il n’y a aucun échec dans sa gouvernance. Lors des marches du vendredi, les Algériens ont quelque peu « oublié », voire épargné, le président déchu. Mais, dès son départ, le grand procès des années Bouteflika a commencé avec la mise en détention de certains hommes d’affaires qui ont profité des largesses du « système » mis en place par son clan notamment son frère Said. Ces hommes d’affaires, actuellement incarcérés à El Harrach, ont largement contribué au financement les différentes campagnes électorales du successeur de Liamine Zeroual comme Ali Haddad, les frères Kouninef ou Mahieddine Tahkout.

La lutte contre la grande corruption, considérée comme un axe stratégique par le Commandement de l’ANP, s’est élargie à des ex-hauts responsables de l’État comme les deux premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia. Accusés de comploter contre l’État et contre l’armée, les généraux à la retraite Mohamed Mediène (Toufik) et Athmane Tartag, ex-patrons des services secrets, Said Bouteflika et Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT) ont été mis sous mandat de dépôt après décision du tribunal militaire de Blida.

Des procès sous le regard d’un fidèle

Le paradoxe est que « le procès » continu du régime de Bouteflika se fait sous le regard d’un fidèle parmi les fidèles de l’ex-président de la République, Abdelkader Bensalah, désigné chef d’État par intérim en application de l’article 102 de la Constitution, et qui garde le poste de président du Conseil de la Nation, chambre haute du Parlement.

Bensalah procède à des changements dans l’encadrement de la Présidence de la République, dans certaines wilayas, dont Alger, dans des entreprises publiques et dans quelques institutions de l’État comme la Cour suprême. Mais, il garde « le gros » des cadres et responsables de l’État nommés par Bouteflika comme les walis, les chefs de daïras, des secrétaires généraux des ministères et des wilayas, les magistrats, les recteurs, etc.

Bensalah, qui a pris trois fois la parole depuis sa désignation le 9 avril, a échoué dans sa tentative d’organiser des « consultations politiques » en vue de préparer l’élection présidentielle prévue le 4 juillet.

Une élection qui ne se tient pas faute de candidats et en raison du fort refus populaire du scrutin. C’est la première fois dans l’Histoire contemporaine de l’Algérie que deux élections présidentielles sont annulées (après celle du 18 avril 2019).

Aucune autre date n’est fixée pour une nouvelle élection mais un appel est lancé pour un dialogue politique « en vue de sortir de la crise ». Dialogue soutenu par l’armée qui ne veut pas d’une période de transition politique tel que réclamée par une partie de l’opposition car porteuse « d’incertitudes », selon l’institution militaire.

Plusieurs feuilles de routes ont été proposées par la société civile et l’opposition, partiellement débattues, sans être inscrites encore dans le cadre d’un dialogue national consensuel pouvant mener à un règlement, accepté par tous, de la crise.

Le passage à une nouvelle République parait pénible, voire incertain. Dans la rue, la contestation populaire ne faiblit pas malgré les pressions du pouvoir pour dévitaliser le hirak. La transformation de l’Algérie ne se fait toujours pas malgré les appels pour un réel changement politique dans le pays avec l’instauration d’un système construit sur la légitimité populaire, l’État de droit, les libertés démocratiques et la transparence. Le commandement de l’armée, par la voix du général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP, a estimé que les réformes politiques et économiques seront menées dans le pays par le président de la République qui sera élu et qui sera impitoyable avec les corrompus et la corruption.

Les Algériens ignorent les excuses de Bouteflika

L’armée souhaite un retour au plus vite au processus électoral pour éviter « le piège du vide constitutionnel ». Pour l’opposition, l’élection présidentielle ne peut pas se tenir avec « les mêmes instruments » et les symboles du régime de Bouteflika dont une Constitution qui « donne des pouvoirs d’Empereur » au chef de l’État et une loi électorale mal élaborée. C’est donc presque l’impasse alors que des inquiétudes deviennent de plus en plus fortes par rapport à la situation économique du pays.

Les observateurs auront constaté qu’Abdelaziz Bouteflika, comme Liamine Zeroual avant lui, est parti sans faire de bilan, a démissionné sans rendre compte aux Algériens.

Sera-t-il obligé de le faire par le hirak qui se poursuit surtout que « la gouvernance » de Bouteflika est désormais liée à la corruption à grande échelle et à la dilapidation des deniers publics en quantités industrielles ? « L’erreur étant humaine, je vous demande pardon pour tout manquement, par une parole ou un geste, à votre égard », s’est contenté d’écrire Bouteflika. Sa lettre d’excuses n’a suscité aucune réaction parmi la population, totale indifférence.

 

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