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Un chemin de coopération dans la crise algérienne

Un chemin de coopération dans la crise algérienne

Contribution. La situation politique en Algérie est à ce point figée dans ses petites et grandes (apparentes) contradictions ou oppositions qu’on en vient tout naturellement à douter d’une sortie de crise à court terme, pourtant absolument indispensable pour la sauvegarde des principaux acquis socio-économiques et géopolitiques du pays.

Du point de vue de l’observateur extérieur, nombre de ces contradictions sont tellement artificielles et artificieuses qu’on est rapidement conduit à s’interroger sur les mécanismes sous-jacents qui les engendrent. Beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet, les réseaux sociaux rengorgent de digressions parfois intrigantes à ce propos tandis que la presse officielle continue de défendre mordicus la position sans concession (jusqu’à présent) du pouvoir.

Loin de moi l’idée d’ajouter une autre version sous-titrée de ce feuilleton tragique et encore moins de pontifier, avec mes outils de théoricien, sur la suicidaire absence de coopération entre les acteurs du conflit institutionnel algérien, que nous constatons jusqu’à présent. Mon seul point ici est de montrer modestement un chemin de coopération possible dont le point d’orgue est l’organisation concomitante d’une élection présidentielle et de législatives anticipées pour l’élection d’une assemblée constituante.

Les premières pierres du changement

On n’a cessé d’opposer la transition (démocratique) à l’organisation d’élections présidentielles depuis le 22 février, et cette opposition fondamentale est allée crescendo jusqu’à quasiment se fossiliser et bloquer toute voie de coopération. Il est vrai qu’avec tous les précédents, l’expression même d’élection présidentielle (et de quelque élection que ce soit d’ailleurs) rappelle toutes sortes de tartufferies et de tours pendables à la majorité des algériens.

Ce qui renforce encore plus cette méfiance presque pathologique envers ces joutes trop souvent préfabriquées, voire téléphonées, c’est le maintien d’un gouvernement que personne ne se hasardera à qualifier de cabinet de rupture. Je ne veux entrer ici dans aucun procès ni en compétence ni en probité, mais enfin il va de soi que le blocage causé par la couleur passée de ce gouvernement d’infortune est en train de menacer le bon cours du changement chez nous. Voudrait-on allonger à dessein l’épisode actuel fort pénible, avec des risques avérés d’effondrement institutionnel et économique à court terme, on ne s’y prendrait pas autrement.

La première pierre du changement semble bien être la mise en place d’un gouvernement non pas apolitique, ce ne serait pas très sérieux, mais formé essentiellement de membres expérimentés et reconnus de la société civile, pour un mandat limité dans le temps mais avec la capacité d’agir très rapidement dans le domaine socioéconomique. Ce serait en quelque sorte un cabinet réduit pour s’attaquer à temps aux menaces de banqueroute et d’effondrement social qui s’avoisinent.

Dans le même ordre d’idée, la nomination d’un gouverneur de la Banque d’Algérie avec pleins pouvoirs (et non pas intérimaire comme jusqu’à présent) est d’une urgence absolue.

On le voit aux différents incidents rapportés par la presse sur le terrain, le gouvernement actuel est empêché et inopérant. Pourquoi prolonger son agonie ? Une fois cette étape dépassée, on peut être plus optimiste pour la suite du processus, la transition démocratique pourrait bien s’installer avec un gouvernement mieux accepté, pleinement dévoué à un nombre limité de tâches, et l’organisation d’élections présidentielles dans les plus brefs délais.

Concomitance d’une présidentielle et de l’élection d’une constituante

Mais pour accélérer véritablement la transition démocratique, il serait encore plus judicieux d’organiser des élections législatives anticipées pour une assemblée constituante, en même temps que la présidentielle. Je reviens ci-dessous sur l’importance d’une constituante, qui est pour moi essentielle pour fonder une nouvelle ère démocratique en Algérie, une nouvelle démocratie algérienne à la mesure du soulèvement du 22 février.

Je veux d’abord commenter la proposition d’organiser les deux élections et le timing particulier (soit la concomitance). La tenue d’une élection présidentielle est rapidement devenue l’unique cheval de bataille du pouvoir, ce qui, compte tenu en particulier du maintien d’un gouvernement ad hoc (pour dire les choses brièvement), a soulevé et soulève encore des soupçons légitimes. Dans ces conditions, le remplacement du gouvernement actuel est de nature à installer un début de détente et même de confiance. Par ailleurs, le principe de réalité en politique (l’Algérie n’étant pas la Tunisie) doit conduire les représentants du hirak non seulement à reconsidérer leur position à propos de la tenue d’une présidentielle mais à la replacer comme une pièce importante de la transition démocratique.

De l’autre côté, il faudrait bien que le pouvoir reconnaisse que l’ordre constitutionnel ancien est mort le 4 juillet, et sans doute bien avant si j’en crois les écrits des constitutionnalistes algériens distingués ces derniers temps. Et l’opportunité historique de fonder pour la première fois une nouvelle ère politique nationale sur une Constitution d’essence populaire (voir ci-dessous) ne peut être ajournée, ce serait encore une fois retarder le processus de modernisation et de régénération dont le pays a besoin depuis la fin de la décennie noire.

La concomitance des deux élections est la configuration qui permet d’une part de rendre crédible la coopération entre les deux acteurs majeurs de la scène politique algérienne, et d’autre part d’accélérer décisivement la transition, ce qui n’est pas un luxe vu le retard impardonnable déjà pris. La tentation d’organiser au plus vite des élections présidentielles, sans autre forme de procès, serait une erreur encore plus impardonnable, le sort du président qui en sortirait ne serait pas plus enviable que celui du gouvernement d’infortune actuel.

L’impérieuse nécessité d’une constituante

Le peuple algérien mérite bien SA Constitution. Je suis d’une génération qui a vu passer le référendum pour la Constitution en 1976 comme un TGV (j’avais 11 ans), et je doute que nos aînés d’alors, en dépit des reportages télévisés extatiques de l’époque, aient pu savourer cet événement comme un fort moment démocratique (que savions-nous de la démocratie ?). Donc le peuple algérien mérite à tout le moins, et comme bien d’autres, d’écrire véritablement le cadre et les lignes d’une nouvelle ère politique qu’il a commencé à inventer depuis le 22 février dernier.

Nous vivons dans une époque où le modèle démocratique occidental traverse une crise existentielle, un processus de « backsliding from democracy », c’est-à-dire de recul des démocraties (1), appuyé sur des mouvements populistes souvent violents sur fond d’augmentation des inégalités socio-économiques que le modèle démocratique était censé résorber.

Dans cette nouvelle ère politique dont on pourrait dater le commencement à la fin des années 2000, le rôle des minorités dominantes a été dévastateur partout dans le monde. Leur effet a été encore plus funeste dans les pays riches en ressources naturelles (2), et nous sommes assez bien placés comme Algériens pour le savoir.

Plus encore, de 1800 à 2006, seulement 34% des nouvelles démocraties dans le monde ont démarré avec des constitutions propres ou héritées d’un épisode démocratique passé (3). Là encore, le rôle des minorités dominantes, souvent descendantes des autocraties déchues, dans l’inertie constitutionnelle est patent. Il est donc de toute première instance que le peuple algérien puisse écrire, à travers une assemblée constituante, sa première constitution propre.

Je reconnais bien volontiers que la constitution actuelle, comme l’indiquent nettement ses fameux articles 7 et 8 d’ailleurs, est loin d’être la plus rétrograde du monde. Mais une ère nouvelle s’ouvre, qui doit être consacrée par une nouvelle constitution dessinant explicitement les contours du nouveau modèle démocratique algérien. Et gageons qu’à l’instar de l’exemple tunisien, elle sera progressiste et égalitaire.


Références

1. Haggard, S. & R. Kaufman, 2016. Dictators and democrats: Masses, elites and regime change. Princeton University Press.

2. Boucekkine, R, R. Desbordes & P. Melindi-Ghidi, 2019. Particularism, dominant minorities and institutional change. Mimeo, IMéRA, juillet 2019.

3. Albertus, M. & V. Menaldo, 2018. Authoritarianism and the elite origins of democracy. Cambridge University Press.


*Une tribune de Raouf Boucekkine, Professeur des universités, directeur de l’Institut d’Etudes Avancées d’Aix-Marseille


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