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Derrière les propos d’Ouyahia, un positionnement politique qui s’adresse d’abord à l’étranger

Derrière les propos d’Ouyahia, un positionnement politique qui s’adresse d’abord à l’étranger

Toufik Doudou / NEWPRESS ©
Ahmed Ouyahia, SG du RND, directeur de cabinet à la présidence de la République

Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND et directeur de cabinet à la présidence de la République, multiplie les sorties médiatiques en plein été alors que les autres hommes politiques sont en vacances ou en retrait.

Du coup, il occupe seul ou presque une scène politique déjà vide depuis la proclamation des résultats des législatives du 4 mai 2017 et la fin du Ramadan.

S’attaquer aux Frères musulmans

Durant la campagne pour les législatives, l’ancien chef du gouvernement a pris soin d’être partout pour animer des meetings et se présenter comme un homme « travailleur » adoptant un discours critique et proposant « un programme politique » à vision lointaine. Pour le code vestimentaire, Ouyahia a choisi la chemise blanche sans cravate, ce qui peut symboliser « la pureté ». L’homme s’est toujours présenté comme quelqu’un de « propre » dans un paysage politique corrompu.

Depuis une semaine, Ouyahia est passé à la phase 2 de sa stratégie graduelle de communication. Une stratégie soigneusement adaptée au discours mainstream international actuel. D’abord, le chef du RND s’attaque ouvertement à Abderrazak Makri, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP). Ce n’est pas un hasard. En Algérie, le MSP est réputé proche du courant des Frères Musulmans. Or, ce courant est dans le monde arabe au cœur d’une crise politique et diplomatique entre plusieurs pays.

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L’Égypte d’Abdelfatah Al Sissi considère le mouvement des Frères musulmans comme « une organisation terroriste ». L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Bahreïn combattent aussi ce mouvement, soupçonné de vouloir bousculer l’ordre établi et prendre le pouvoir, après les bouleversements de 2011. Le Qatar est le seul pays du golfe qui accueille les dirigeants des Frères musulmans comme ceux du Hamas palestinien.

La rupture des relations diplomatiques et l’embargo imposé au Qatar par l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Bahreïn sont en grande partie liés au soutien de Doha aux Frères musulmans. La politique des adversaires du Qatar est ouvertement soutenue par les États-Unis de Donald Trump. Elle bénéficie également du soutien ou de la neutralité bienveillante de la majorité des pays européens.

Ouyahia, qui a eu à gérer des dossiers internationaux par le passé, monte sur cette vague pour apparaître comme celui qui fera barrage à ce courant si un jour il sera élu président de la République. Il se met rapidement en avant en se présentant comme le chef de file du courant « anti-islamiste » en Algérie.

Un profil qui suscite l’intérêt en Europe et en Amérique du Nord actuellement. L’Occident veut gérer « l’après-Daech » dans la région arabe en s’appuyant sur des partenaires locaux. Des partenaires qui doivent être sûrs, clairement hostiles à toute forme de radicalisme et rompus aux pratiques du pouvoir.

Un discours proche de l’extrême-droite

Et depuis deux jours, Ouyahia est passé à la phase 3 de sa stratégie. Il a adopté un discours proche de l’extrême-droite et des partis nationalistes européens. Un discours qui épouse, dans certaines formes, les idées xénophobes de l’aile conservatrice du Parti Républicain américain représenté par l’actuel président Donald Trump.

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D’où l’évocation par Ouyahia du « mur » que ce président veut construire entre les États-Unis et le Mexique pour empêcher l’entrée des migrants. D’ailleurs, le chef du RND a utilisé cette mesure, fortement dénoncée aux États Unis, comme « un argument » pour justifier ces propos anti-migrants, qualifiés de « scandaleux » par Amnesty International.

Pour Ouyahia, les migrants sont porteurs de fléaux comme les crimes et le trafic de drogue. C’est exactement ce que disent Trump et les médias qui lui sont fidèles. L’Europe, qui fait face aux flux de migrants venant d’Afrique et de Moyen-Orient, est également sensible au discours comme celui d’Ouyahia qui donne l’apparence d’être ferme.

Bruxelles souhaite vivement traiter avec des dirigeants-gendarmes en Afrique du Nord pour bloquer ou limiter le passage clandestin de migrants, la Méditerranée étant la principale « porte » d’entrée vers le vieux continent. Ouyahia s’inscrit déjà dans le futur même s’il cultive le paradoxe en dénonçant du bout des lèvres les demandes de l’Europe de créer « des campements » pour migrants au Maghreb.

Pour les Européens, Ouyahia pourrait être un partenaire idéal pour « gérer » le dossier des migrants dans la mesure où tous les rapports des experts prévoient la poursuite durant les prochaines années des flux migratoires vers l’Europe en raison des conflits en Afrique et au Moyen-Orient.

Donc, Ahmed Ouyahia, 65 ans, en campagne, vend l’image d’un homme politique capable de s’adapter, sans complexe, aux demandes des puissances étrangères en matière politique, sécuritaire voire économique (le patron du RND est un libéral convaincu). Il entend prendre de l’avance, sur les autres prétendants à la magistrature suprême, en s’adressant d’abord aux architectes de la politique internationale et en se présentant comme une alternative incontournable qui peut être soutenue au moment voulu.

Les déclarations actuelles d’Ouyahia s’adressent d’abord à la consommation extérieure en attendant que le rapport de force interne bascule en sa faveur.

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