Dans cet entretien, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris, revient sur l’appel à la paix qu’il a lancé avec le Grand Rabbin, la « guerre sainte » du premier ministre israélien Benyamine Netanyahou, l’impact du conflit sur les musulmans de France.
Le recteur de la Grande mosquée de Paris estime qu’il n’y a qu’une seule solution pour mettre fin à la guerre entre Israël et la Palestine : la création d’un Etat palestinien.
Vous allez lancer un appel pour la paix avec le Grand rabbin de France. Qu’attendez-vous de concret de cette initiative ?
Par mon histoire personnelle, j’ai toujours été attaché à la paix, à la justice, au droit des peuples et au respect du droit international. Dès le dimanche 8 octobre, j’ai publié un communiqué pour demander que « les armes se taisent ».
J’ai considéré qu’il était urgent d’agir pour réclamer la protection de toutes les populations civiles et la libération des otages.
Mes craintes allaient notamment vers la population gazaouie qui est enfermée dans cette prison à ciel ouvert et qui allait subir des bombardements intenses et meurtriers. C’est pourquoi, j’ai appelé à une levée immédiate du blocus de la bande de Gaza et à l’accès d’une aide humanitaire au profit des Palestiniens.
Dans cet état d’esprit, j’ai donc accepté de participer à une émission de télévision sous le signe de l’appel à la paix. La paix est une valeur fondamentale de l’islam et je me dois de la prôner, en toute situation, depuis la Grande Mosquée Paris.
Cet appel résonne dans un contexte critique en France. Des forces sont à l’œuvre pour tenter d’y importer la guerre du Proche-Orient, pour diviser la société, opposer les appartenances religieuses et, en particulier, incriminer les citoyens musulmans de tous les maux.
Il faut en avoir conscience et ne pas laisser faire. En France, comme ailleurs, je refuse qu’une violence aveugle puisse s’abattre contre des personnes en raison de leur confession religieuse.
Cette guerre impacte-t-elle les relations entre musulmans et juifs en France et le dialogue entre les instances des deux communautés ?
Le dialogue est maintenu entre les différentes instances qui appellent à ce que ce terrible conflit du Proche-Orient ne soit pas importé en France.
Avec le Grand Rabbin, nous avons déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une guerre de religion, opposant les juifs aux musulmans.
Malheureusement, si cette guerre continue à engranger la mort de victimes civiles, les positions risquent de se radicaliser en France et de semer la division au sein de la communauté nationale. Il est donc de notre responsabilité d’agir pour éviter cette escalade.
Depuis le début de la guerre en Israël, les musulmans sont au cœur de plusieurs polémiques en France. Comment les musulmans de France vivent-ils cette situation ?
Ils la vivent très mal. Ils pleurent tous les milliers de morts innocents et pourtant, depuis le 7 octobre 2023, ils se trouvent visés par le doigt accusateur de certains médias, intellectuels et hommes politiques qui se sentent désormais libres de déverser, sans impunité, leur discours de haine.
L’écrasante majorité des musulmans de France a supporté stoïquement les pires insinuations, les provocations et les attaques infondées. Et nous les invitons à ne pas répondre à la haine par la haine.
Nous sommes dans une configuration pour le moins anormale : s’exprimer pacifiquement pour l’arrêt de la guerre à Gaza et pour les droits du peuple palestinien ne devrait pas faire l’objet de récriminations.
Heureusement, les juridictions administratives ont autorisé la tenue de manifestations traduisant cette solidarité, pourvu qu’elles soient pacifistes et ne violent pas l’ordre public.
La mort de civils, qu’ils soient palestiniens ou israéliens, est condamnable. Rien ne justifie de s’attaquer aux civils sans défense. Pourquoi les victimes palestiniennes ne suscitent pas autant de condamnations que celles israéliennes ?
Le refus de considérer les terribles souffrances vécues en ce moment à Gaza tient sans doute à deux raisons principales : la banalisation d’une situation désastreuse depuis des décennies et la récupération politique qui en est faite.
Je ne crois pas que ce « deux poids, deux mesures » soit majoritaire dans l’opinion publique française. De nombreux humanistes se sont élevés pour dénoncer cette discrimination inique.
La vie est sacrée et chaque mort d’un civil, palestinien ou israélien, est insupportable. Il est donc intolérable de ne pas s’apitoyer sur les victimes civiles palestiniennes et les otages pris en étau dans Gaza.
J’ai moi-même dénoncé publiquement ces atteintes à la vie et aux droits des victimes civiles. Les 150 imams de la Grande Mosquée de Paris ont, dans leurs prêches des trois derniers vendredis, imploré la préservation de la vie des civils et rappelé les règles de l’islam qui prohibent les atteintes contre les populations civiles. J’ai aussi demandé à la fin des deux derniers prêches d’organiser la prière de l’absent pour toutes les victimes civiles.
Nous n’avons pas entendu suffisamment les représentants de la communauté musulmane en France depuis le début de cette guerre. Pourquoi ?
Le lendemain du 7 octobre 2023, j’ai publié un communiqué demandant l’arrêt de cette guerre terrible et de faire la paix dans cette région du monde.
Je craignais que les jours suivants se succèdent dans l’horreur, et ce fut hélas le cas. J’ai donc réclamé un cessez-le-feu, la libération des otages et la création d’un Etat palestinien, viable, pour que son peuple puisse y vivre en sécurité aux côtés de ses voisins. Pour le reste, je me suis tenu à l’écart de la scène médiatique où, me semble-t-il, la parole de raison ne pouvait pas être entendue.
Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou prône ouvertement la guerre sainte sans susciter de condamnations en Occident. Quelle est votre réaction ?
Depuis des décennies, cet homme incarne une politique de relégation, si ce n’est de disparition du peuple palestinien, en colonisant sa terre et en le déplaçant ailleurs.
Le silence et l’inaction de la communauté internationale ont régné face à cette terrible injustice. C’est en partie cette politique agressive qui a nourri tant de ressentiments dans le cœur des Palestiniens et qui tait leurs droits légitimes.
Il est temps d’y mettre un terme. Concernant la qualification de « guerre sainte », je réfute avec force cette vision. Il s’agit d’une guerre de territoire et de colonisation.
Aujourd’hui, il est salvateur d’entreprendre la création d’un Etat palestinien. Le peuple palestinien n’est pas un peuple de terroristes, il aspire à disposer de lui-même, à disposer d’un Etat viable et sécurisé, avec pour capitale Jérusalem-Est (Al-Qods Al-Charif).
La communauté internationale devrait s’unir et prendre toutes les dispositions concrètes pour atteindre cet idéal qui permettrait enfin à la région, et à l’ensemble de ses habitants, de vivre en paix.
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