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Réformes économiques : les habits tout neufs d’Ahmed Ouyahia

Réformes économiques : les habits tout neufs d’Ahmed Ouyahia

Sidali Djarboub / NewPress

Ahmed Ouyahia s’apprête d’ici quelques jours à présenter son programme de gouvernement devant le Parlement. Il n’y a pas beaucoup de doutes sur le fait qu’il poursuivra la mise en œuvre, sans doute avec une rigueur accentuée, de l’ajustement en cours des dépenses de l’État à son niveau de ressources actuel fortement impacté par la baisse des prix pétroliers.

Ce qui est beaucoup moins sûr, c’est sa volonté de proposer et de mettre en œuvre des « réformes de structure » de l’économie algérienne.

L’interpellation de M. Ouyahia sur ce sujet semble d’autant plus légitime qu’il a été quatre fois premier ministre depuis que cette question a fait son apparition dans le débat économique national au milieu des années 90. Ahmed Ouyahia est –il capable de faire des réformes économiques ?

Jeudi, à l’occasion de sa rencontre avec les partenaires sociaux, le Premier ministre les a informés "des tensions financières auxquelles fait face le pays", avant d’affirmer, au terme d’une rencontre à huis clos, que « la situation est difficile » devant les caméras de la télévision nationale. « Mais, a-t-il tenté de rassurer, le gouvernement maintiendra sa politique de justice sociale et de solidarité nationale ».

Le décor des 18 mois à venir semble donc planté; ce sera celui, selon une formule désormais classique, « de la rigueur économique mais pas de l’austérité ».

L’appel de Bouteflika 

Ce dont M.Ouyahia ne parle pas ou très peu depuis son entrée en fonction, c’est les réformes économiques. Il aurait pu pourtant se référer, dans ce domaine, au dernier message du Président Bouteflika : « Les réserves de change s’érodent, la balance des paiements se dégrade, il faut mettre en œuvres les réformes économiques nécessaires ».

Tel  était  en substance le contenu  du message présidentiel à l’occasion du 55e anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie.

Le chef de l’État soulignait ainsi  la gravité de la situation économique du pays marquée par un « sévère recul » des revenus extérieurs et une « dégradation de sa balance des paiements extérieurs« .

Pour faire face à cette situation de crise, le chef de l’État appelait les Algériens « à mettre en œuvre souverainement, les réformes économiques nécessaires« .

Parmi les actions à entreprendre, le président Bouteflika a cité la « réhabilitation de la valeur du travail« , « l’amélioration de l’environnement de l’activité économique » et « la concrétisation diligente de l’ensemble des réformes nécessaires« .

Une interpellation légitime 

M. Ouyahia est précédé par une réputation, flatteuse, de gestionnaire rigoureux qui pourrait produire des résultats de court terme en matière de réduction des dépenses et d’économie des deniers de l’État.

On peut cependant se demander s’il est bien l’« homme de la situation » en matière de mise en œuvre des « réformes économiques nécessaires » auxquelles fait allusion le Chef de l’État.

Dans ce domaine l’interpellation du « nouveau » Premier ministre parait d’autant plus légitime que son parcours politique de près d’un quart de siècle se confond, pour l’instant, et même s’il est loin d’être le seul responsable de cette situation,  avec l’échec patent des politiques de réduction de la dépendance à l’égard de la rente pétrolière et de diversification de l’économie algérienne qui constituent l’objectif concret des réformes économiques.

Les réformes « héritées » de  1995

En Algérie, l’histoire semble se répéter à plus de 20 ans de distance. Fin 1995, Liamine Zeroual  est élu Président de la République. Le rétablissement des équilibres financiers internes et externes, réalisé dans l’urgence absolue et dans la douleur, à la suite de trois accords successifs signés avec le FMI depuis le premier accord « stand by » de 1991, est déjà très largement amorcé.

Le temps était alors venu des « réformes de structure » ou de ce qu’on appelait aussi à l’époque  les « réformes de seconde génération ». Il s’agissait de mettre sur les rails les transformations de l’économie algérienne susceptible de l’émanciper de la rente pétrolière et d’empêcher les scénarios à répétition de faillite financière en cas de chute des prix pétroliers.

C’est dans ce contexte que M. Ouyahia se voit confier pour la première fois le poste de Chef du Gouvernement par le Président Zeroual en novembre 1995. Il hérite de quelques réformes fondamentales de l’économie, fruit des « conditionnalités »  imposées par le FMI.

Il s’agit en particulier de la libéralisation complète du commerce extérieur effective depuis janvier 1995. Les institutions financières internationales ont également demandé et obtenu l’ouverture à partir du 1er janvier 1995 du secteur des banques et des assurances, jusque-là monopole public, à l’investissement privé national et étranger.

Un quart de siècle et un maigre bilan

Plus de 20 ans après, force est de constater que c’est toujours quasiment ce même (maigre) bilan auquel se résume les réformes de structure mise en  œuvre par les gouvernements algériens qui se sont succédé depuis 1995 et auxquels Ahmed Ouyahia a pris une part prépondérante.

On doit ajouter, pour être juste, un programme de privatisation- dissolution limitée qui a touché essentiellement les structures de distribution publiques ( Souks el fellah) ainsi qu’un grand nombre d’entreprises publiques locales et auquel le nouveau Premier ministre a attaché son nom.

Pour être à peu près exhaustif sur ce chapitre des réformes de structure mises en œuvre dans notre pays depuis près d’un quart de siècle, on doit mentionner une deuxième vague de réformes mise en œuvre cette fois au début des années 2000 par un gouvernement dirigé par Ali Benflis. Elle a permis essentiellement l’ouverture et la dynamisation du secteur de la téléphonie mobile, jusque-là fortement attardé,  grâce à l’intervention d’opérateurs privés étrangers.

Une « contre-réforme » depuis 2008

Depuis le début des années 2000 et le retour d’une « prospérité » boostée par les cours pétroliers, les bilans sont simples à établir .Plus rien n’a été réalisé pendant près de 15 ans en matière de réformes de structure de l’économie algérienne.

On peut affirmer sans la moindre hésitation que cette dernière période a été marquée en réalité, en particulier depuis les années 2008 – 2009,  par une sorte de « contre-réforme de l’économie »  dans des domaines aussi divers que la réglementation sur l’investissement étranger, la gestion des banques publiques, la mise en sommeil du marché financier obligataire etc…

Ce véritable processus de « contre-réforme » a été couronné à partir du début de 2016 par la remise en cause partielle de la libéralisation du commerce extérieur et l’introduction des licences d’importation. La plupart de ces décisions ont été prises et mises en œuvre à partir de 2008 et les plus spectaculaires ont été introduites dans la célèbre Loi de finance complémentaire 2009 concoctée par un gouvernement dirigé par Ahmed Ouyahia.

Ahmed Ouyahia a-t-il  changé ?   

C’est dans une période toute récente, qu’on peut faire débuter à l’occasion de la campagne pour les élections législatives du printemps dernier, que M. Ouyahia a endossé les habits tout neufs d’un réformateur de l’économie nationale.

Il avait ainsi multiplié les déclarations sur des sujets aussi sensibles que le système de subventions ou encore les privatisations.  À plusieurs reprises, Ahmed Ouyahia a en particulier critiqué le système actuel de subventions généralisées. « Notre système de subvention est trop généreux. Il profite à tout le monde. Il ne profite pas aux nécessiteux. L’aide de l’État doit aller à ceux qui la méritent, alors qu’aujourd’hui tout le monde peut acheter un sachet de lait à 25 dinars ».

Selon lui, les subventions alimentent en outre la contrebande et « font perdre à l’Algérie plus de deux milliards de dollars par an ».

Durant la dernière campagne électorale, il a également plaidé en faveur de la privatisation des petites entreprises publiques. « Le pays doit revenir aux grands projets et favoriser les exportations. Les petites entreprises publiques doivent être privatisées. Nous ne voulons pas être de nouveau endettés. Nous voulons rester souverains et maîtres de nos décisionsLes hôtels, les moulins, on leur trouvera des acheteurs nationaux, il vaut mieux les vendre tant qu’ils sont en bon état, pour ne pas revivre ce que nous avons vécu durant les années 1990 » a-t-il déclaré en juin dernier lors d’une conférence de presse.

Pas plus tard que la semaine dernière, Ahmed Ouyahia a également voulu panser les plaies d’un patronat privé algérien déstabilisé par l’offensive en règle menée contre lui pendant plus de deux mois par le gouvernement Tebboune.

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Pour rassurer les patrons, il a salué l’ensemble des entreprises du pays, qu’elles soient publiques, privées ou mixtes issues de partenariats avec des entreprises étrangères. M. Ouyahia a tenu à assurer ainsi que "toutes les entreprises établies en Algérie sont les leviers du développement du pays".

Le nouvel Ahmed Ouyahia est –il arrivé ? Ou bien les ( modestes) réformes annoncées resteront-elles des promesses sans lendemain ? On devrait avoir quelques indications à l’occasion de la prochaine présentation du programme du gouvernement aux députés.

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