Sa valise n’est pas encore défaite. Sofia Djama vient d’arriver de Paris. Une vie à 100 à l’heure et plusieurs projets en cours de réalisation aussi bien en Algérie qu’en France.
Récemment, la cinéaste a ajouté une corde à son arc : elle a été nommée membre de la commission de lecture du fonds de soutien au cinéma, par la ministre de la Culture Soraya Mouloudji.
Le succès de son film ‘Les Bienheureux’ sorti en 2017 par BAC FILMS lui a balisé le chemin vers un monde où il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Sofia Djama est une scénariste, productrice et réalisatrice engagée.
Si elle fait du cinéma c’est parce qu’elle a des choses à dire. Liberté, lutte pour les droits des femmes et démocratie, sont quelques une des revendications qu’elle défend bec et ongles.
Yeux rieurs, visage encadré par des bouclettes frisottantes, elle nous accueille dans son appartement situé sur à Alger. Ses deux chats « Douchka » et « Zaatchi » la talonnent et se pressent contre ses jambes.
« Douchka est obèse. Il va falloir qu’elle se mette au régime », plaisante-t-elle. Nous nous installons dans le living inondé de lumière. L’appartement est au 7e étage et a une vue panoramique sur la baie d’Alger. Les murs sont tapissés d’œuvres de Bardi et d’une reproduction d’une toile de Abdelkader Guermaz un reste du tournage de son film Les Bienheureux.Sofia tient à nous préparer une petite collation alors, nous l’accompagnons dans sa cuisine. Elle concocte une salade fraise-tomates qu’elle saupoudre de thym et arrose d’un filet d’huile d’olive. Mains chargés d’assiettes de ‘Charek, ‘kesra’ et m’hadjeb’, nous retournons dans la salle de séjour.
La table basse a des airs champêtres. Un bouquet de jonquilles distille des notes printanières. Sofia Djama, sirote son café et remonte le fil du temps.
« Je suis née à Oran, d’un père né à Tiaret et d’une mère originaire de Bou–Saâda. Je devais avoir 2 à 3 semaines lorsque je fus adoptée. À deux ans, j’ai été vivre à Bejaia avec mes parents adoptifs. Ma mère (adoptive) est normande et mon père (adoptif) est bougiotte. C’est dans cette ville de Kabylie où j’ai grandi et suivi ma scolarité jusqu’au bac et une partie de ma fac ».
Sofia Djama : une féministe engagée
Adolescente, Sofia exprime haut et fort ses revendications. « J’observais que sur le plan des libertés, les femmes était moins bien loties que les hommes. Mon père – né en 1930- était un grand féministe, pourtant il n’a pas été au-delà du certificat d’études. Il avait coutume de dire « Les hommes sont tolérants ici mais seulement avec les femmes des autres. Le moule s’est cassé après moi ». En fait, je vivais une fracture entre mon milieu familial et l’espace public que je trouvais très conservateur. Ce paradoxe m’insupportait, d’où mes révoltes d’adolescente. Mon côté féministe et engagé est né à cette période ».
À 17 ans, Sofia Djama décroche son bac. Elle s’installe à Alger en 1999, et s’inscrit à l’Université de Bouzaréah pour y suivre des études de Lettres anglaises.
Un parcours en pointillé pour la future réalisatrice. « J’ai pris tout mon temps et je n’ai jamais été jusqu’au bout de ces études. Il y avait chez moi un désir latent de faire du cinéma mais il attendait d’éclore. Ma passion pour le 7e art, je l’ai nourrie depuis l’enfance, à travers les films diffusés par la télévision algérienne tels que les Sergio Leone, John Ford, Mankiewicz, ou Charlie Chaplin. Plus tard c’est ma rencontre avec des réalisateurs tels qu’Ettore Scola, Sydnet Lumet, Martin Scorsese, Cassavetes, Chabrol, Les Frères Coens ou Belloufa qui construisent mon imaginaire…. Mais les films qui m’ont donné envie de faire du cinéma c’est ‘The Wall’ d’Alan Parker et ‘Qui a peur de Virginia Woolf’, de Mike Nichols, adapté de la pièce de théâtre d’Edward Albee ».Sofia Djama : l’écriture, avant la caméra
Sofia Djama ne le sait pas encore, mais c’est par l’écriture qu’elle va mettre le pied dans le 7e art. Elle adore écrire des petites nouvelles. Après un passage par une agence de publicité, elle jette l’éponge.
Elle a l’opportunité d’assister au tournage de ‘Bab El Web’ de Merzak Allouache avec Julie Gayet et Samy Naceri en 2005 puis à celui de ‘Paloma Délice’ de Nadir Moknéche (2007) avec Biyouna. « Nadir m’a accueilli sur son plateau et ça été précieux pour moi ».
Par la suite, Sofia travaille dans une agence de publicité et de communication. « J’ai appris à écrire des scripts radio, ce qui me servira plus tard », confie-t-elle.
Success story
En 2009, durant le Festival panafricain d’Alger (Panaf), Sofia Djama participe à une résidence d’écriture. « J’avais écrit deux histoires : ‘Les 100 pas de Monsieur X’ et ‘Mollement un samedi matin’. Cette résidence m’a appris à en faire des scénarios. J’ai tenté le tout pour le tout en envoyant ces deux projets à des producteurs en France. Bingo ! Ils ont été acceptés et j’ai eu les financements pour réaliser ces deux courts- métrages de fiction en 2012 ».
Ces deux courts-métrages ont été diffusés sur Arte, Ciné + et TV5 monde. ‘Mollement un samedi matin’ a décroché des prix au Festival international de Clermont-Ferrand. « Cette reconnaissance d’estime des médias et du public m’a confortée dans l’idée de continuer sur cette voie », explique Sofia Djama.
Les Bienheureux : avalanche de prix pour Sofia Djama
Le train est en marche et la réalisatrice se lance dans l’écriture de son premier long-métrage. Titré ‘les Bienheureux’. Sofia Djama reçoit un soutien financier pour l’aide à la réécriture du CNC (Centre Nationale de Cinématographie en France) puis une avance sur recettes du même organisme ce qui permet le tournage du film.
Le film sort en 2017 et récolte une moisson de récompenses. ‘Les Bienheureux’ obtient le prix de la meilleure actrice qui révèle Lyna Khoudri au 74e festival du film de Venise. D’autres récompenses suivront dont le Brian Award et le prix Lina Mangacapre (figure du féminisme napolitain et italien).
Sofia Djama retrouve La Mostra de Venise en septembre 2022 en tant que membre du jury à la compétition officielle section Orizzonti.
Sofia Djama veut réaliser un film sur Hassiba BoulmerkaLa cinéaste a plusieurs projets sur le feu. Sofia Djama prépare un nouveau film. On connait déjà le titre ‘Jeudi moins le quart’. « Je repars à mes premières amours : l’univers de l’absurde. C’est l’histoire de trois ‘joyeux loosers’ qui vivent dans un pays étrange où les présidents ne meurent jamais. Ce n’est ni en Algérie, ni en Chine, ni en Corée du nord, ni au Chili… Parmi ces personnages, il y a une espèce de cantatrice- à l’allure impériale un peu à la Warda Djazaria du nom de Cherifa Griffa… Enfin, le film racontera les tribulations de trois amis qui doivent enterrer un teckel prénommé Trump… Mais chut, je n’en dirai pas plus ! ».
Sofia Djama a également décidé d’adapter ‘Le rapt’, roman de Anouar Benmalek, au cinéma. Elle a également un autre projet : « Je veux réaliser un film sur Hassiba Boulmerka du point de vue d’un enfant, cette femme extraordinaire qui a donné tant de joie aux Algériens alors que notre pays était à feu et à sang ».
Sofia Djama revendique un cinéma engagé. « Je m’intéresse à la situation post-traumatique liée à la décennie noire. Je veux faire des films sur nos revendications, nos espoirs, nos luttes, nos fractures et évidemment sur la condition de la femme et mêmes des comédies. Le cinéma pour moi c’est le droit à l’insolence, c’est bousculer les idées, créer du débat. Le droit à l’insolence doit être sacré ! »
SUR LE MÊME SUJET :
DJ Snake remet la musique algérienne sur le toit du monde
Rencontre avec Ibrahim El Kebir, magicien et humoriste franco-algérien
Abdeslam Khelil, portrait d’un grand artiste photographe algérien