De plus en plus de voix s’élèvent en France pour réclamer la révocation de l’accord sur l’immigration conclu en 1968 avec l’Algérie. De nombreux poids lourds de la classe politique française appellent à sa suppression, ou tout au moins à le réviser.
C’est une vieille revendication de l’extrême-droite, désormais banalisée et réclamée par des personnalités de la droite traditionnelle et du centre comme une nécessité pour réguler les flux migratoires entre l’Algérie et la France.
Lundi 5 juin, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe a indiqué dans une interview parue dans L’Express qu’il refusait l’immigration du « fait accompli » et estimé qu’il n’était pas « justifié » de maintenir l’accord de 1968, de surcroît avec un pays, l’Algérie, qui entretient « des relations compliquéesv avec la France.
Le maire de Nice Christian Estrosi (Les Républicains) lui a emboîté le pas dès le lendemain, jugeant que « la situation a considérablement changé » et les « avantages » prévus par l’accord de 1968 « ne se justifient plus ».
Les avantages qu’une partie de la classe politique française veut remettre en cause concernent essentiellement le regroupement familial et l’accès à un titre de séjour.
Dans le cadre de la nouvelle loi à venir sur l’immigration, Estrosi réclame la décentralisation et plus de pouvoir aux maires dans l’accueil des étudiants et le regroupement familial.
Le président du Sénat, Gérard Larcher (du parti Les Républicains également), trouve lui aussi que « les conditions ont changé » 55 ans après la promulgation de l’accord de 1968 et qu’il faut, de ce fait, le « réexaminer ». Pour Larcher, le texte constitue « une espèce de discrimination, par rapport à d’autres pays ».
En France, la dénonciation de l’accord de 1968 est de plus en plus présentée comme une nécessité et une mesure à prendre coûte que coûte.
En mai dernier, l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, a appelé à la suppression du traité même si, a-t-il dit dans un entretien au Point, il faudra s’attendre à une réaction ferme d’Alger, comme la rupture des relations avec la France.
L’accord de 1968 devient une sorte d’obsession pour une partie de la classe politique française. Au point où le président des Républicains, Éric Ciotti, et deux autres dirigeants du parti ont proposé le 21 mai dernier de revoir la Constitution pour permettre des dérogations à la primauté, actuellement en vigueur, des lois européennes et des traités internationaux sur la législation française.
Pour eux, si les politiques de contrôle de l’immigration ont toutes échoué, c’est à cause de cette disposition qui empêche d’appliquer les lois quand elles sont en porte-à-faux avec la législation européenne ou les engagements internationaux de l’Etat français.
Pour l’Algérie, révoquer l’accord de 1968 serait un « casus belli »
Le gouvernement français s’apprête à présenter une nouvelle loi sur l’immigration, probablement cet été ou l’automne prochain, et compte sur l’appui des Républicains pour faire passer le texte.
Ceux-ci ont toutefois mis des « lignes rouges ». Ils ne veulent pas du projet de carte de séjour pour les travailleurs des secteurs « en tension », c’est-à-dire en manque de main d’œuvre, et du maintien de l’accord de 1968.
L’Algérie tient à l’accord et les pourfendeurs de celui-ci reconnaissent eux-mêmes que sa révocation pourrait impacter gravement les relations entre les deux pays.
Xavier Driencourt n’exclut pas la rupture des relations entre Paris et Alger le cas échéant et Édouard Philippe s’attend à ce que la décision pose « des questions délicates en termes juridiques, plus encore en termes diplomatiques ».
« Revenir sur cet accord serait un casus belli pour Alger », a mis en garde sur L’Express Pierre Vermeren, universitaire spécialiste de l’histoire du Maghreb. Vermeren semble néanmoins lui aussi favorable à une telle opération qu’il considère comme la seule arme dont dispose la France pour faire pression sur l’Algérie concernant la question des laissez-passer consulaires.
Interrogé en décembre dernier par Le Figaro, le président Abdelmadjid Tebboune a plaidé pour le maintien des dispositions de l’accord de 1968. « Il y a une spécificité algérienne, même par rapport aux autres pays maghrébins. Elle a été négociée et il convient de la respecter », a dit le président algérien.
Le président français Emmanual Macron a indiqué, par la voix du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qu’il ne touchera pas à l’accord. Parviendra-t-il à tenir parole et à résister à cette énorme pression ?
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