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Le gouvernement face à la boule de feu de la colère sociale

Le gouvernement face à la boule de feu de la colère sociale

Les contestations sociales actuelles commencent à prendre la forme d’une boule de feu qui roule à grande vitesse en prenant du volume. La grève des enseignants et des médecins résidents durent déjà depuis plusieurs semaines.

Mercredi 14 février, jour de la Saint Valentin, quatorze syndicats de la fonction publique ont déclaré leur flamme, eux aussi à l’arrêt de travail. Ils ont observé, dans le calme, des rassemblements devant les sièges des wilayas.

Ils avancent une plateforme de revendications, mise sous les claviers depuis deux ans par les pouvoirs publics.

Des revendications relatives au régime de la retraite, au pouvoir d’achat, à la loi du travail et au droit syndical. « Il y a une grave régression en matière de libertés syndicales. Nous n’avons pas vu cela depuis le début du pluralisme en Algérie en 1989 », a averti, dans une déclaration à El Bilad TV, Sid Ali Admane, membre de la direction de l’Union nationale des travailleurs de l’éducation et de la formation professionnelle(Unpef).

Les syndicats évoquent aussi les dernières mesures prises par le gouvernement contre les grévistes (ponctions sur salaires, licenciement des travailleurs, sanctions administratives, interdiction d’organiser des assemblées générales, dépôt de plainte en justice, harcèlement moral).

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« Lignes rouges »

La justice a déclaré illégale la grève du Cnapeste, entamée le 30 janvier dernier, et celle des médecins résidents, qui dure depuis novembre 2017. La décision des tribunaux n’a rien changé à la situation, le Cnapeste a même annoncé n’avoir rien reçu de la part du tribunal.

Pire, les mouvements de protestation ont pris de l’ampleur ces derniers jours. L’appel du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale Mourad Zemali de respecter la décision de justice n’a pas été entendu.

Zemali a reproché au Cnapeste d’avoir « franchi les lignes rouges ».  Ce qui n’a fait que durcir le mouvement. « Licencier les enseignants ne fera qu’aggraver la situation. Ce n’est pas cela la solution. La solution ne viendra qu’à travers le dialogue », a plaidé Salim Oulhi, coordinateur national du Cnapeste.

Refus de dialogue

Nouria Benghabrit, ministre de l’Éducation nationale, a exigé l’arrêt du débrayage avant toute ouverture du dialogue. Condition rejetée par les syndicalistes.

« Les portes du département ont toujours été ouvertes. Mais après la décision de justice, il n’était pas question pour moi de rencontrer le Cnapeste tant qu’ils n’auront pas suspendu la grève et repris le travail », a déclaré la ministre dans un entretien à TSA, publié mercredi 14 février.

Cela pose inévitablement un double problème. D’abord, les conditions du dialogue ne sont plus réunies lorsqu’une partie saisit la justice pour invalider un mouvement de protestation sociale.

Ensuite, l’intervention rapide de la justice qui, pratiquement, ne donne jamais raison aux syndicats, s’avère contre-productive puisqu’elle complique la situation, n’enlève rien au mécontentement et affaiblit le rôle de l’action judiciaire dans le maintien de la paix sociale.

En 2015, Benghabrit a fait signer une « charte de l’éthique du secteur de l’éducation » à huit syndicats dans le but de « promouvoir le dialogue social ». Constat d’échec aujourd’hui puisqu’il n’y a pas que le Cnapeste qui fait grève.

D’autres syndicats du même secteur ont appelé à un arrêt de travail national les 20 et 21 février pour exiger, entre autres, la révision de la loi relative à l’éducation. La politique de la voix élevée pratiquée par le gouvernement ne semble servir à rien.

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« Nous ne voulons pas d’affrontement »

Noureddine Bedoui, ministre de l’Intérieur, est entré sur la ligne pour dire que « les portes du dialogue » restent ouvertes. Il s’adressait aux médecins résidents et aux syndicats de l’éducation pour expliquer que l’intervention des institutions en charge de la sécurité doit se faire « pour la sauvegarde de notre sécurité, de notre stabilité et de nos frontières ». « Laissons-nous éviter ce que certains cherchent. Nous ne voulons pas que se reproduisent des situations vécues par le passé. Nous ne voulons pas d’affrontement mais nous disons que les lois de la République seront appliquées avec toute la rigueur voulue », a-t-il mis en garde.

Message envoyé visiblement à tous les syndicats qui font grève mais également au gouvernement lui-même. Même si son propos est quelque peu menaçant, le ministre de l’Intérieur ne veut pas que la police soit le seul « interlocuteur » des grévistes.

À charge des ministères concernés (Santé et Éducation) d’essayer de chercher des solutions à la crise au lieu de « s’appuyer » sur la force publique. Le ministère de la Santé peine à trouver un terrain d’entente avec les médecins résidents au moment où des partis qui soutiennent le gouvernement (FLN, RND, TAJ et MPA) se mêlent du débat en chargeant les syndicats.

Une intervention qui risque également de densifier la colère sociale en lui ajoutant une couche et qui montre bien que les ressorts de la médiation sociale sont bloqués.

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Le silence lourd de l’UGTA

L’ébullition sur le front social n’a curieusement pas fait réagir l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Le premier responsable de la centrale syndicale, Abdelmadjid Sidi Said, a pris habitude de ne prendre la parole que lors des réunions avec le gouvernement ou avec le Forum des chefs d’entreprises (FCE).

Il n’anime plus de meetings avec les travailleurs et s’abstient d’apporter son appui à l’action contestataire des syndicats autonomes. Avec le gouvernement et le patronat, l’UGTA, qui n’est plus le seul représentant des travailleurs, a signé un « Pacte économique et social » qui semble proscrire le recours à la grève comme forme de protestation.

Le constat est fait aujourd’hui : l’UGTA n’est plus un partenaire efficace pour le gouvernement en matière de gestion des crises sociales. Début de la fin de l’UGTA ? Question ouverte.

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Ouyahia face à un casse-tête chinois

Autre silence inexplicable : celui du Premier ministre Ahmed Ouyahia. Critiqué après la signature du Pacte de Partenariat public-privé, fin décembre, Ouyahia a réduit considérablement de ses sorties publiques et de ses déclarations médiatiques.

Mais, son gouvernement est aujourd’hui attaqué par les syndicats et par l’opposition sur son inaction quant à la prise en charge efficace des revendications socio-professionnelles dans les secteurs de la fonction publique, l’éducation, l’enseignement supérieur, la santé et des transports.

Contrairement à 2011 ou 2012, le gouvernement n’a plus les moyens financiers suffisants pour affronter la crise sociale. Sa marge de manœuvre est très réduite après la chute des recettes de l’État suite à l’effondrement des cours pétroliers à partir de 2014.

Que faire alors ? Gérer par l’usure, la répression ou l’indifférence ? Dialoguer ? Accéder à minima aux revendications sociales ? Endiguer la colère par la persuasion et le langage de la vérité ?

Ouyahia, qui a également une carrière politique à gérer, est devant un casse-tête chinois durant une année, la dernière du quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, politiquement sensible.

Une année qui peut être porteuse de périls politiques aussi. Le FLN, le RND, le MPA et le TAJ ont commis, en ce sens, une erreur monumentale en voulant politiser la contestation sociale pour la diaboliser.

Une tentative qui risque d’accélérer les dérapages si rien n’est fait dans l’immédiat pour calmer les esprits et convaincre les syndicats de poursuivre le dialogue sans pressions ni menaces de la part des pouvoirs publics. Dans le cas contraire, la boule de feu pourrait faire des dégâts.

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